Interview Tamara Funiciello: «Il y a aussi du sexisme au sein du PS»

de Silvana Guanziroli

23.5.2019

Tamara Funiciello aime aborder les sujets sensibles.
Tamara Funiciello aime aborder les sujets sensibles.
Keystone

Elle donne de la voix pour défendre ses causes politiques. Et pour cela, Tamara Funiciello, présidente de la Jeunesse socialiste (JS), est la cible de lettres de menaces cinglantes. Cette féministe convaincue explique pourquoi cela ne l’empêche pas de se battre.

Les gens la détestent ou l’adorent. Ces dernières années, presque aucune autre femme politique en Suisse n’a autant polarisé l’opinion que la présidente de la JS, Tamara Funiciello, qui quittera ses fonctions en août. Depuis l’action des soutiens-gorge brûlés qu’elle a menée en 2017, la socialiste de 29 ans est connue dans tout le pays.

Désormais, la Bernoise d’origine italienne envisage de faire son entrée au Palais fédéral. Avant les élections fédérales d’octobre, elle parle sans détour dans une interview accordée à «Bluewin».

Mme Funiciello, vous êtes en colère. Vous aimez le dire et vous le dites avec beaucoup de conviction. Mais la colère n’est pas toujours le meilleur guide.

Vous avez peut-être raison. Mais ma colère est mon moteur, c’est de là que je puise mon énergie. J’ai appris à l’utiliser dès mon plus jeune âge sans la laisser prendre le contrôle ou me ronger. Outre cela, je suis à juste titre révoltée d’entendre que plus d’un million de personnes en Suisse sont sous la menace de la pauvreté ou de savoir que des gens meurent chaque jour en Méditerranée et que nous n’en parlons tout simplement pas. Pour ma part, je ne comprends pas ces personnes qui ne s’indignent pas.

Vous avez passé trois ans à la tête de la Jeunesse socialiste suisse. En août, vous quitterez la présidence. Pourquoi avoir choisi ce moment?

Je suis tout simplement une grand-mère au sein de la JS, cela ne se voit peut-être pas forcément de l’extérieur. Mais entretemps, nous avons accueilli des membres de 2008. Il y a juste un monde entre les deux. Regardez, au sein de la JS, il y a une discussion de groupe où l’on se moque déjà de ma façon d’utiliser les réseaux sociaux, quasiment comme une «vieille». Lorsque j’en ai entendu parler, j’ai dû en rire. Parce que la prochaine génération a raison. Ce que je veux dire par là, c’est qu’une section de jeunes doit rester dynamique. Cela inclut également le changement au sommet. Et il y a vraiment de bons candidats prêts pour la succession.

Plusieurs candidates sont évoquées pour le poste. Qui est votre favorite?

Pour être honnête, je n’ai pas de favorite. Je suis juste fière qu’il y ait tant de jeunes femmes qui se tiennent prêtes. Le succès des femmes observé aujourd’hui est le résultat des actions d’hier en faveur des femmes, qui portent désormais leurs fruits. Avec cette densité féminine, nous avons une position de départ de choix à laquelle toutes les sections de jeunes de partis au Conseil fédéral ne peuvent pas prétendre. Bien sûr, il y a de bons candidats chez les hommes. Mais je n’ai jamais caché le fait que je préférerais voir une femme me succéder. J’ai été la première et ce serait bien qu’il y ait d’autres femmes à ce poste.

Vous avez été très présente dans les médias au cours de votre mandat. Il y a eu beaucoup de critiques et de haine. N’est-ce pas une autre raison de votre démission?

Non. Et il est également important selon moi que cela soit souligné. Sinon, cela voudrait dire que je donne raison à ces haters. Alors ils auraient gagné. J’ai planifié cette démission depuis longtemps. Dès le début, il était clair pour moi que 2019 serait la fin. Mais je tenais encore absolument à faire la grève des femmes le 14 juin. Après cela, la nouvelle direction du parti doit poser les jalons de l’avenir de la JS.

Néanmoins, ces attaques ne passent certainement pas sans laisser de traces. Comment y avez-vous fait face?

En réalité, ces haters n’ont pas obtenu de tribune. Mais il est important d’en parler pour mettre fin à cette forme de violence. J’ai toujours pu compter sur un bon réseau qui m’a très bien soutenue lorsque c’était vraiment intense. Il est très important pour moi de souligner une chose ici: il est légitime de critiquer, tout le monde doit avoir le droit de le faire. Mais si la critique ne vise plus le contenu, mais la personne, cela va trop loin. Mon corps, mon orientation sexuelle ou mes origines n’ont pas d’influence. Et ce qui ne passe pas du tout, ce sont le harcèlement sexuel et les menaces sous toutes leurs formes. Je pourrais presque faire une galerie de photos de pénis qui m’ont été envoyées ces derniers mois. Mais effectivement, une limite a été dépassée, comme j’ai été menacée de viol. Les attaques de boîtes aux lettres subies sont aussi totalement inacceptables et dangereuses. Mon objectif est qu’aucune femme ne soit plus la cible de violences, sous quelque forme que ce soit. Et cela nécessite des ajustements structurels.

Auriez-vous été moins attaquée, auriez-vous fait les mêmes déclarations si vous étiez un homme? Quel est votre avis à ce sujet?

C’est une question fortement sujette aux spéculations puisque je ne suis pas un homme. Mais nous avons remarqué qu’il existe en réalité des différences, que divers mémoires de master analysent également. Par rapport à mes prédécesseurs, les attaques sont nettement plus intenses en qualité comme en quantité, ce que nous pouvons déjà chiffrer.

Cette action avec les soutiens-gorge a immédiatement fait de vous une cible. Est-ce que cela en a valu la peine, rétrospectivement?

Oui, de toute évidence. Pour moi, la raison pour laquelle cela dérange autant demeure à ce jour incompréhensible. A la suite de cela, j’ai interpellé divers détracteurs et j’ai reçu des réponses effrayantes. Ainsi, une publicité d’un fabricant de sous-vêtements qui transforme des mannequins en objets est nettement plus appréciée qu’une photo de femmes qui mènent une action dont elles ont eu elles-mêmes l’idée, qui correspond à leurs convictions et à travers laquelle elles protestent contre une injustice.

En brûlant des soutiens-gorge, la JS a voulu attirer l’attention sur la Marche des femmes organisée en mars 2017. Les défilés avaient pour origine une action de protestation lancée en janvier 2017 aux Etats-Unis contre le président américain Donald Trump.
En brûlant des soutiens-gorge, la JS a voulu attirer l’attention sur la Marche des femmes organisée en mars 2017. Les défilés avaient pour origine une action de protestation lancée en janvier 2017 aux Etats-Unis contre le président américain Donald Trump.
zvg

Les réactions montrent où en est l’égalité des femmes. La société a une image très claire de ce qu’une femme devrait être. Si elle sort de ce cadre, si elle parle trop fort ou si elle ne ressemble pas à ce qu’elle devrait être, elle ressent alors la pression de la société. Les femmes sont encore contrôlées massivement, elles sont scrutées et doivent se soumettre à cette vision. Je n’ai plus envie de cela, tout simplement. Et c’est justement pour cela que cette action était extrêmement importante.

Voyez-vous également cela comme l’une des causes de l’inégalité des salaires?

Absolument. Les femmes sont simplement jugées en fonction d’autres critères, ce qui rend la tâche extrêmement difficile. Scientifiquement, il est indiscutable qu’il existe un capital beauté. Je comprends toutes ces femmes qui s’en servent, car dans une société qui nous désavantage de cette manière, chaque atout compte. Mais c’est complètement absurde. Ce capital n’a rien à voir avec les compétences de la femme. Cela ne dit rien de son intelligence ou de ses performances. Par ailleurs, vous souvenez-vous d’une discussion sur un parlementaire au gros ventre ou aux cheveux mal coiffés? Pas moi.

Près de 30 ans après la première grève des femmes, une nouvelle édition se tiendra le 14 juin. C’est une date importante pour les féministes. Que signifie ce jour pour vous?

Le plus important à mes yeux est déjà passé. Dans tout le pays, des femmes se sont mobilisées pour défendre leurs droits ensemble ce jour-là. Les réseaux de femmes n’ont pas été aussi actifs depuis longtemps. Et les exigences sont claires: nous ne sommes plus disposées à attendre, nous voulons agir et obtenir enfin des résultats. Les femmes d’aujourd’hui ne se contentent plus d’une bouchée de pain. Nous réclamons des salaires et des droits égaux et nous voulons que le travail des femmes, même non rémunéré, soit valorisé. En bref, nous réclamons une nouvelle structure sociale. Il est tout simplement inadmissible que des cadres supérieurs encaissent des millions, mais que des mères qui élèvent nos enfants aient les mains complètement vides.

Ces revendications ne sont toutefois pas nouvelles, elles existaient il y a 30 ans. Il ne s’est pas passé tant de choses depuis.

Vous avez raison. Malheureusement, de telles transformations prennent énormément de temps. Nous avons encore beaucoup à faire. Il est d’autant plus important que nous nous levions en grand nombre. En fait, je crois même que notre société actuelle est encore plus conservatrice que dans les années 1990.

Ce qui nous amène au quota de femmes. D’autres pays ont déjà une obligation, tandis que la Suisse peine dans ce domaine. Que pensez-vous des femmes quotas?

Je suis une femme quota. Et dans ce cas, ce n’est pas la pire des solutions. (rires) Non, sérieusement, le quota de femmes est une nécessité. Les statistiques le montrent: dans les entreprises qui introduisent un quota, cela n’élimine pas les hommes de valeur, mais les hommes médiocres. Et c’est là que réside la problématique. Nous avons actuellement pas mal d’hommes médiocres à des postes importants car le supérieur a tendance à placer dans son sillage quelqu’un qui lui ressemble.

Tamara Funiciello se décrit elle-même comme une femme avec une rhétorique masculine.
Tamara Funiciello se décrit elle-même comme une femme avec une rhétorique masculine.
Keystone

Est-ce pour cela que beaucoup de femmes qui occupent des postes de direction ont l’air plutôt masculines?

Aujourd’hui, le pouvoir est en réalité quelque chose de masculin. Moi aussi, j’ai une rhétorique masculine, j’en suis consciente.

Soutenez-vous toutes les femmes sans réserve? Supposons qu’un siège de l’UDC au Conseil fédéral soit vacant et que Magdalena Martullo-Blocher se présente aux élections. Lui donneriez-vous votre voix?

Je ne pense pas que Magdalena Martullo-Blocher serait pire que n’importe quel autre élément de l’UDC. Et ici, le sexe n’a pas non plus d’importance. Que ce soit Ueli Maurer ou Magdalena Martullo-Blocher, c’est la même chose. Il y a une question cruciale pour moi: que font réellement les femmes pour les autres femmes? On n’a pas seulement besoin de femmes, mais des bonnes femmes. Donc des bonnes femmes de gauche.

Vous dites qu’au sein de la JS, il y a suffisamment d’hommes qui soutiennent l’égalité des droits. Qu’en est-il au sein du parti mère? Cédric Wermuth est vivement critiqué pour sa candidature au Conseil des Etats.

Demandez à Cédric Wermuth s’il pense que c’est une idée intelligente ou non. Mais il est parfaitement clair qu’il y a beaucoup à faire au PS. Il est présomptueux de croire que le sexisme s’arrête aux frontières du parti, c’est faux. Totalement faux. Le sexisme n’est pas simplement un comportement, c’est un système. Au sein du PS, nous avons un avantage, notamment du fait qu’il existe des cercles qui le combattent, par exemple les Femmes socialistes. Non seulement pour les élections, mais aussi sur le long terme.

Les élections constituent justement un mot-clé. Vous vous présentez au Conseil national pour les élections d’octobre. Quelles sont vos chances selon vous?

Je ne sais pas quelle sera l’issue. Mais j’ai le grand avantage de faire de la politique pour changer les choses et non pour être élue. Avec moi, l’électeur sait exactement ce qu’il aura. Soit il trouve ça bien, soit non. Personne ne sera déçu après coup. Moi non plus. Si l’électorat ne veut pas que ma politique parvienne au Palais fédéral, je peux très bien vivre avec. J’aime beaucoup être membre du Grand Conseil et j’aime encore plus être activiste et je saurai aussi faire avec en cas de non-élection.

Quelle serait votre première démarche en cas de succès?

Je me mobiliserai immédiatement en faveur d’une réduction du temps de travail; quant à l’ampleur de cette réduction, nous pourrons en discuter. Les partis bourgeois lancent en effet une offensive pour rendre les heures de travail plus flexibles. C’est le bon moment pour s’y opposer. Je suis l’adversaire dans les starting-blocks.

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