Une deuxième audience s'est tenue le 25 février au Tribunal de première instance de Genève dans le cadre de l'affaire Dépakine. L'enjeu majeur de la matinée était de définir la date exacte à laquelle les plaignants ont établi un lien de cause à effet entre les troubles de leurs fils, né en 2001, et la prise du médicament pendant la grossesse de la mère. Le cas pourrait tomber sous le coup de la prescription.
«Nous devons nous battre aujourd'hui sur cette histoire de prescription, afin d'aboutir à un procès équitable», explique Natascha Allenbach. Cette maman est la première de Suisse à avoir poussé la porte d'un tribunal, en novembre dernier, pour défendre les intérêts de son enfant, victime du syndrome valproate. Cette substance active de la Dépakine fait des ravages sur le foetus, lorsque l'anti-épileptique est pris durant la grossesse.
Or, Natascha Allenbach affirme qu'elle n'a pas été informée des risques par son médecin prescripteur et qu'elle n'a fait le lien avec les nombreux problèmes de santé de son enfant que lorsqu'elle a consulté son dossier médical en 2016. Il avait alors 15 ans.
Les dates ont leur importance dans ce cas précis. En Suisse, une dizaine de familles ont engagé une procédure civile. Elles demandent réparation au laboratoire Sanofi, producteur du médicament, ainsi qu'au médecin ayant signé l'ordonnance. Pour les cas plus ou moins récents, l'entrée en matière ne pose pas de problème.
Mais la plainte de la famille Allenbach est intervenue alors que le délai de prescription n'était que de dix ans pour les victimes de dommages corporels apparaissant longtemps après le fait dommageable. Depuis le 1er janvier 2020, ce délai a été doublé. «Cependant, précisent ses avocats, cette modification n’a pas d’impact sur la procédure en cours. En effet, l’allongement du délai de prescription ne bénéficie qu’au lésé dont les prétentions n’étaient pas encore prescrites au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit.»
Un témoignage très attendu
Après le témoignage du père et de plusieurs amis du couple, tournant tous autour des dates auxquelles les Allenbach ont commencé à parler de la Dépakine et de ses conséquences à leur entourage, la pédiatre de leur fils arrive à la barre.
«Pour moi, il était évident que le lien avec la Dépakine était sous-entendu»
La pédiatre de la famille
Elle promet de dire la vérité, la juge ayant pris soin de lui rappeler que dans le cas contraire, la praticienne risque jusqu'à cinq ans de peine privative de liberté. «Dès la première consultation de l'enfant, alors qu'il devait être hospitalisé six semaines après sa naissance, je savais que sa mère prenait des médicaments, dont la Dépakine, car j'avais reçu des rapports du CHUV», indique-t-elle d'emblée.
Très tôt, plusieurs rapports font état de suspicions du syndrome valproate dans le cas qui nous occupe. Toute la question est donc de savoir si la pédiatre a abordé le sujet avec les parents. «Nous n'avons pas parlé directement du lien avec la Dépakine. Nous avons évoqué la médication de la mère et avons décidé de suivre leur fils, car il présentait une problématique de santé complexe qu'il fallait prendre en charge. Mon rôle était de recevoir l'enfant, souvent en urgence d'ailleurs, ce n'est pas moi qui ai prescrit ce médicament à sa mère», répond l'intéressée.
Un point «essentiel»
La magistrate insiste, appuyant sur le fait que la question est un point «essentiel» de la procédure en cours. Réponse de la pédiatre: «Comme nous avions abordé le sujet de la médication, pour moi, il était évident que le lien avec la Dépakine était sous-entendu.»
À de nombreuses reprises, courriers et rapports médicaux à l'appui, la même question est reposée au médecin. La défense lui rappelle qu'elle est sous serment et qu'un mensonge peut entraîner des poursuites pénales. Et produit dans la foulée un courrier où la praticienne mentionne la suspicion du syndrome valproate, adressant son patient à une consultation génétique. N'a-t-elle pas, à ce moment-là, évoqué la question avec les parents?
Manifestement éprouvée, la pédiatre déclare ne pas se souvenir des termes exacts utilisés à ce moment-là. «On ne discute pas toujours des contenus des rapports dans leur intégralité avec les parents. Pour moi, il était clair qu'il y avait toujours cette hypothèse et je pensais que c'était quelque chose dont ils étaient conscients», conclut-elle.
Avocats «consternés»
À la sortie du Palais de justice, les avocats de la famille réagissent: « La position des défendeurs est choquante : d’un côté, ils mettent tout en œuvre pour tenter de démontrer que les parents étaient soi-disant au courant des risques liés à la Dépakine, ce en 2002/2003 déjà. De l’autre, Sanofi et le médecin prescripteur plaident, pour leur défense, qu’ils ignoraient tout des risques provoqués par la Dépakine à la même époque.
Les avocats de la défense, eux, se refusent à tout commentaire. Ceux de la famille ajoutent encore: «Nous sommes consternés par l’agressivité à l’encontre des demandeurs et des témoins et par le manque de crédit accordé à cette famille dans une affaire aussi sensible, dans laquelle parents et enfant souffrent quotidiennement.» D'autres audiences suivront, dans une procédure qui promet d'être longue.