Actu people Jeff Koons, icône de génie ou produit cynique et spéculatif?

AFP

16.5.2019 - 20:05

Jeff Koons, dont la sculpture le «Rabbit» est devenue mercredi la plus chère d'un artiste vivant, déchaîne les passions : icône absolue et révolutionnaire, ou pur produit cynique d'un marché spéculatif, son œuvre interroge sur la déconnection ou non de l'art contemporain avec la réalité sensible.

Le «Rabbit», un moulage en acier d'un lapin gonflable, a été vendu mercredi 91,1 millions de dollars cher Christie's à New York. Il a battu «Portrait of an Artist (Pool with Two Figures)» du peintre britannique David Hockney, qui avait atteint 90,3 millions de dollars mi-novembre.

Il y a six ans, Jeff Koons était déjà l’artiste vivant le plus cher du marché de l’art avec son «Balloon Dog» (1994-2000). Mais son marché était en demi-teinte ces dernières années.

Raisons de cette relative baisse de faveur de celui qui a été surnommé par ses nombreux adversaires «le prince du kitsch» : une dilution de ses oeuvres, du fait de leur reproduction en multiples, et des problèmes judiciaires et polémiques à répétition, notamment autour du «Bouquet de tulipes», un projet offert à la France après les attentats de 2016.

«Les récentes attaques à l’encontre du plasticien américain lui apportaient une publicité qui pourrait bien lui être profitable», prédisait en 2018 un rapport d'Artprice, leader des banques de données sur la cotation et les indices de l'art.

Pour l'expert Alex Rotter de Christie's à New York, le «Rabbit» est non seulement «la pièce la plus importante de Jeff Koons», mais aussi «la sculpture la plus importante de la seconde moitié du XXe siècle».

M. Rotter va jusqu'à assurer que son oeuvre a marqué «la fin de la sculpture», ajoutant : «C'est l'anti-David», en référence au chef d'oeuvre de Michel-Ange (1501-04).

«Jeff Koons n'est pas une oeuvre muséale, c'est une icône», explique à l'AFP Thierry Ehrmann, président d'Artprice. La preuve selon lui : ses oeuvres «figurent en couverture de nombreux livres et revues des grands éditeurs de référence» pour l'art contemporain.

Selon lui, nul hasard, exagération ou manipulation dans ce succès : «le Rabbit est, sur un marché très sélectif, la bonne oeuvre au bon moment du bon artiste, avec une belle histoire». Et contrairement à l'image qu'on se fait de lui, Koons est un homme exigeant, «quelqu'un de très soucieux d'aller jusqu'au bout du déroulement de son inspiration, et qui ne supporte pas de faire des oeuvres inachevées», ajoute-t-il.

Ses oeuvres sont travaillées sur plusieurs années, au risque d'agacer les acheteurs et galeristes, dit-il.

M. Ehrmann rappelle qu'on s'était scandalisé des peintures d'Andy Warhol il y a cinquante ans, quand elles représentaient des dollars, et que l'histoire se renouvelle avec Koons.

- «Arrière-garde»-

Selon l'expert de l'art contemporain Jean-Philippe Domesq, «la raison du succès de Koons est qu'il est conservateur et pas d'avant-garde : il est l'avatar d'Andy Warhol. A nouveau, c'est ce phénomène où l'aura de l'artiste compte plus que l'aura de l'oeuvre».

«C'est même l'arrière-garde ! Cela revient à faire de l'Ingres à l'époque des impressionnistes. Il reproduit agrandies, dans d'autres matériaux, des phénomènes et images de la société du spectacle. Et en plus, il ne dérange personne», dénonce l'auteur de Comédie de la critique, trentre ans d'art contemporain» (Ed.Pocket)

Nicole Esterolle, comptemptrice dans plusieurs revues d'art d'un marché qui réserverait ses faveurs à une poignée d'artistes, alors qu'une majorité survit difficilement, condamne «une vente record sur le grand marché spéculatif de l’inepte et du cynisme».

Elle est «le symptôme de la dérive de plus en plus incontrôlable des systèmes artistico-économico-financiers», dit-elle à l'AFP, en accusant «l'institution culturelle» de les soutenir.

Pourquoi achète-t-on Koons avec des millions de dollars ou d'euros? Selon M. Domesq, «loin d'être naïfs, les acheteurs signifient par là qu'ils ont les moyens, ils assurent leur prestige en affirmant : voyez, je suis capable de mettre tant d'argent dans rien».

C'est le «financial art» : «on n'y achète plus de l'art en l'indexant sur la qualité esthétique, mais sur son inflation financière», fustige-t-il.

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