Derrière la perfection, gifles et insultes: l'ancienne gymnaste roumaine Nadia Comaneci a été rudoyée par son entraîneur sous l'oeil complice de Ceausescu, selon un récent ouvrage basé sur des dossiers inédits de la Securitate.
Nadia Comaneci à Berlin, le 17 février 2020
L'historien Stejarel Olaru, à Bucarest, le 8 avril 2021
Nadia Comaneci, le 21 juillet 1976 aux Jeux olympiques de Montréal
Nadia Comaneci, star maltraitée sous le régime communiste
Nadia Comaneci à Berlin, le 17 février 2020
L'historien Stejarel Olaru, à Bucarest, le 8 avril 2021
Nadia Comaneci, le 21 juillet 1976 aux Jeux olympiques de Montréal
La jeune prodige, reine des jeux Olympiques de Montréal en 1976 où elle fut la première gymnaste à obtenir la note maximale de 10, était sous surveillance constante dans son pays natal, qui avait fait d'elle un outil majeur de propagande.
Instrument de terreur d'un régime parmi les plus répressifs du bloc communiste, la Securitate traquait des millions de Roumains pour une blague visant le dictateur Nicolae Ceausescu, une rencontre avec un étranger, un proche résidant en Occident.
Dans le cas de Nadia – nom de code «Corina» -, c'est un dispositif «impressionnant» formé d'agents secrets, médecins, responsables de la Fédération, mais aussi du pianiste de l'équipe ou du chorégraphe, qui avait été mis en place, explique dans un entretien à l'AFP l'historien Stejarel Olaru, dont le livre «Nadia si Securitatea» (Nadia et la Securitate) vient de sortir à Bucarest.
Il a pu consulter des milliers de pages de rapports déclassifiés, nourris de délations et de conversations téléphoniques interceptées par l'ex-police politique.
Autant de documents qui témoignent de la «relation abusive» tenant plus du dressage que de l'entraînement à laquelle la «fée de Montréal» était assujettie par son mentor Bela Karolyi, raconte l'écrivain.
«Terreur»
Souvent transmis à Ceausescu lui-même, ces archives jettent une lumière nouvelle sur les humiliations subies par la gymnaste et ses coéquipières.
«Les filles sont frappées tellement fort qu'elles subissent des hémorragies nasales», rapporte une informatrice, évoquant la «terreur et la brutalité» exercées par M. Karolyi, tandis qu'un médecin accuse ce dernier de traiter les sportives de «vaches» ou d'«idiotes».
Si cette maltraitance a depuis été dénoncée, y compris par des championnes américaines entraînées par Bela et Martha Karolyi après la défection du couple aux Etats-Unis en 1981, Nadia est elle restée plutôt discrète.
Dans un entretien de 1977 avec des journalistes qui n'a jamais été publié et dont le livre révèle l'existence, elle racontait avoir été à maintes reprises «insultée» mais aussi fortement giflée après avoir pris 300 grammes. Elle disait être régulièrement affamée, au point de pouvoir «à peine tenir debout».
«Trop de choses se sont passées (…), ne serait-ce que le voir, je ne peux plus», ajoutait Nadia qui, six mois après les JO de Montréal, refusait de s'entraîner avec Bela Karolyi.
Dans son journal intime, elle décrivait des coups subis quand les filles rataient un exercice, selon un informateur qui en avait lu des extraits.
Contraintes de s'entraîner jusqu'à l'épuisement même lorsqu'elles étaient blessées, les jeunes sportives étaient en outre privées de soins médicaux.
La mère de Nadia s'en était d'ailleurs plainte auprès de la Fédération et avait demandé de parler directement à Ceausescu. L'entrevue fut néanmoins annulée au dernier moment, sans explications.
Nommée «Héroïne du travail socialiste» par le dictateur, Nadia n'a pas pour autant échappé aux brimades: elle a été «tourmentée, intimidée, humiliée», souligne l'historien.
«Prisonnière»
M. Karolyi, issu de la minorité magyare et soupçonné de «mener des activités hostiles au pays», était lui aussi étroitement surveillé.
Pourquoi donc les autorités, par ailleurs impitoyables dans leur répression politique, l'ont-elles laissé faire ? «Par pur calcul politique. Comment auraient-elles pu se targuer du haut niveau de l'école de gymnastique et en même temps mener une enquête contre M. Karolyi ?», relève M. Olaru.
Après son retrait de la vie sportive, en 1984, Nadia était devenue «prisonnière» dans son pays, interdite – à de rares exceptions – de voyager à l'étranger.
La jeune femme réussit néanmoins à franchir illégalement la frontière avec la Hongrie fin novembre 1989 avant de s'envoler pour demander l'asile politique aux Etats-Unis.
Le dernier compte-rendu la concernant remonte au 20 décembre, soit deux jours avant la chute de Ceausescu.
Soucieux de ne pas prendre pour argent comptant des rapports «qui peuvent être faux ou malveillants», l'expert précise avoir eu plusieurs entretiens avec l'ancienne gymnaste, aujourd'hui âgée de 59 ans.
Si elle-même n'a pas accordé d'interviews à la suite de la parution du livre, elle a confirmé à l'AFP avoir été en contact avec Stejarel Olaru.
«Nadia pense avoir fait ce que son ambition lui dictait de faire», dit-il, dressant le portrait d'une sportive «rebelle» et «battante, qui a su se relever après les épreuves difficiles auxquelles elle a été soumise».
«Loin d'avoir été privilégiée, comme elle était présentée à l'époque, Nadia a été une victime du régime.»