Sergueï Kravtchinski, 74 ans, constructeur d'appareils spatiaux, parle de la mort de Gagarine lors d'une interview à l'AFP à Moscou, le 22 Mars 2018
Une statue de Iouri Gagarine au Musée des cosmonautes à Moscou, le 22 mars 2018
Un demi-siècle après, la mort de Gagarine reste un secret d'Etat en Russie
Sergueï Kravtchinski, 74 ans, constructeur d'appareils spatiaux, parle de la mort de Gagarine lors d'une interview à l'AFP à Moscou, le 22 Mars 2018
Une statue de Iouri Gagarine au Musée des cosmonautes à Moscou, le 22 mars 2018
Officiellement, Iouri Gagarine a trouvé la mort en avion en voulant éviter un ballon météo, mais 50 ans plus tard, la disparition du premier homme à être allé dans l'espace reste un secret d'État entouré de mystère.
Le 27 mars 1968 au matin, Iouri Gagarine se prépare pour un vol d'entraînement de routine avec son avion Mig-15 à l'aéroport Tchkalovski, près de Moscou, se souvient son collègue de l'époque, le cosmonaute Vladimir Aksionov.
"Avec Iouri, nous avons consulté les mêmes médecins, écouté les mêmes prévisions météo, puisque mon décollage était prévu une heure après le sien", raconte-t-il à l'AFP.
Mais le vol d'Aksionov, 34 ans à l'époque, est annulé: après avoir annoncé leur retour à la base, ni Gagarine ni son copilote Vladimir Serioguine, 45 ans, ne répondent plus aux appels radio.
Les hélicoptères partis à leur recherche annoncent rapidement avoir trouvé des fragments de la carcasse de l'avion, à 65 km de l'aéroport. Le corps de Iouri Gagarine est retrouvé le lendemain.
- "Gagarine est mort!" -
Sergueï Kravtchinski, 74 ans, et à l'époque jeune constructeur d'appareils spatiaux, se souvient du jour où il a appris la nouvelle.
"Nous avons entendu un cri dans le couloir: +les gars, Gagarine est mort+!". "C'était un choc, les femmes pleuraient", se remémore-t-il.
Pour la première fois dans l'histoire de l'URSS, une journée de deuil national est observée pour une personne qui n'est pas le chef de l'État.
Les constructeurs savaient que Gagarine avait déjà rencontré un problème d'atterrissage peu auparavant en s'entraînant sur des MiG. Lorsque la commission d'enquête rend ses conclusions, ils sont perplexes.
Selon la version officielle, l'équipage de l'avion a dû exécuter une manoeuvre brusque à cause d'un "changement dans la situation de l'air", ce qui a provoqué le crash de l'appareil.
"Le rapport de la commission officielle, soit 29 volumes, n'a jamais été publié. C'est ce qui a poussé collègues et experts à lancer leurs propres recherches", raconte à l'AFP Alexandre Glouchko, historien du secteur spatial soviétique.
A l'époque, les rumeurs les plus folles circulent sur la mort du premier homme de l'espace: tué sur ordre du Kremlin, jaloux de sa popularité, ivre lors du vol, kidnappé par des extraterrestres, sans oublier la version d'une mascarade destinée à simuler sa mort pour l'interner en asile psychiatrique...
En 2011, pour célébrer le 50e anniversaire du premier vol dans l'espace de Gagarine, le 12 avril 1961, les archives du Kremlin annoncent avoir levé le voile sur la mort du premier cosmonaute.
Selon ces nouvelles conclusions, "l'une des raisons probables" du crash de l'avion serait la présence d'un ballon météo, que Gagarine et Serioguine ont tenté d'éviter avant de perdre le contrôle de l'appareil.
"L'une des raisons probables! Cette formule ne veut rien dire! Et aucun document des 29 volumes de l'enquête n'a jamais été publié en entier", s'étrangle l'historien Alexandre Glouchko.
Pour lui, le mystère entretenu sur l'accident de Gagarine sert à cacher "les défauts dans l'organisation et les dysfonctionnements du secteur spatial soviétique", qui était alors le symbole même des succès de l'URSS.
"Faute de connaître la vérité, les rumeurs se multiplient, et elles continuent à circuler encore aujourd'hui", résume-t-il.
- 'Version du pilote' -
"Mes parents m'ont toujours assuré que Gagarine était mort parce qu'il était ivre", se souvient Alexandre Volodko, policier à Novokouznetsk, en Sibérie.
Né un an après la mort de Gagarine, Alexandre, en visite au Musée de la Conquête spatiale à Moscou, aimerait que "la vérité soit enfin connue".
Contrairement à ses parents, il partage une autre version de la mort de Gagarine, défendue par le cosmonaute Alexeï Leonov, qui l'a évoqué après la chute de l'URSS en 1991.
Selon Leonov, membre de la commission d'enquête en 1968, un avion Soukhoï qui n'aurait pas dû se trouver là a croisé la trajectoire du MiG de Gagarine, passant à moins de 20 mètres de son appareil. En franchissant le mur du son, le pilote aurait provoqué la vrille et le crash de l’avion du cosmonaute.
"J'ai vu un document déclassifié qui confirme (cette thèse)", a affirmé en juin Alexeï Leonov, 83 ans, à l'agence publique Ria Novosti.
La commission a caché la vérité pour protéger le pilote survivant, assure-t-il, en refusant de révéler son identité et en ajoutant seulement qu'il s'agit d'un homme "assez connu", aujourd'hui "vieux et malade".
"Ce n'est plus un secret: il s'agit de négligences et de violations des règles de l'aviation", résume-t-il.
Tant que les documents officiels ne seront pas rendus publics, "cette affirmation reste une simple hypothèse", déplore l'historien Glouchko.
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