Marc Décosterd « J’ai su très vite que je n’avais pas le choix : je devais raconter des histoires »
Elvire Küenzi
18.2.2022
Rencontre avec Marc Décosterd scénariste, réalisateur et acteur.
Propos recueillis par Elvire Küenzi
Elvire Küenzi
18.02.2022, 09:17
Elvire Küenzi
Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
«J’ai commencé à faire des films très jeune, vers l’âge de 9 ans. D’abord en 8mm avec mon père, puis en vidéo avec mes amis d’école. Après le gymnase, j’ai fait un tour dans la section professionnelle d’art dramatique au Conservatoire de Lausanne puis j’ai bifurqué sur l’ECAL, dont je suis sorti diplômé en 2002. À ce jour j’ai écrit et réalisé quatre longs-métrages et quelques courts.»
Avez-vous toujours voulu faire ce métier ? Comment en vient-on à travailler pour le cinéma en Suisse ?
«J’ai su très vite que quelque part je n’avais pas le choix : je devais raconter des histoires ! D’autres médiums m’intéressent aussi, comme la bande dessinée. J’ai d’ailleurs un projet qui va dans ce sens. Comme je produis moi-même mes films, je n’ai pas vraiment le sentiment de travailler pour le cinéma mais pour mes films ; ce qui est une nuance importante.»
«J’évolue dans la marge, loin des institutions, avec une formidable liberté de travail et d’expression. J’ai beaucoup de mal à me laisser « formater », ce qui peut parfois me jouer des tours. Mais faire un film est trop viscéral pour moi pour que j’essaie de plaire à un milieu ou à des organismes. Je suis en accord avec ça aujourd’hui. Je préfère la liberté au confort.»
Comment percevez-vous ce métier dans notre pays ? Il y a-t-il moins ou plus d’opportunités qu’ailleurs ?
«Il y a de très belles choses qui se tournent dans ce pays. Toutefois, ça reste souvent sage et poli. Personnellement j’aime être brusqué par une œuvre, être forcé à me situer, par rapport à un film, un livre ou quoi que ce soit d’autre. Si je ressors le même à l’autre bout d’un film, j’ai perdu mon temps. La Suisse n’est pas forcément un grand pays en terme de cinéma mais pour ce qui est des opportunités, je pense qu’il y en a si on ose demander.»
«C’est précisément ce qui s’est passé avec blue TV. Je leur ai écrit afin de leur soumettre mon dernier film, puis les autres, et ils se sont montrés intéressés. Ce qui offre à mon travail une visibilité extraordinaire et j’en suis infiniment reconnaissant.»
Qu’est-ce que vous préférez dans votre activité ?
«Le tournage est parfois laborieux quand on tourne avec des petits budgets. Ce qui me nourrit le plus c’est l’écriture du scénario - plus particulièrement les dialogues - le montage et composer la musique de mes films. J’aime la rythmique et la musicalité de ces trois étapes.»
Quels réalisateurs vous inspirent et influencent votre travail ?
«Celui qui a eu le plus d’influence sur moi, c’est sans doute Clint Eastwood. Il a toujours eu cette propension à tourner pour « pas cher » et vite - mais surtout à raconter des histoires sans esbroufe et avec honnêteté. Ça me parle énormément et ce système est adaptable à mes petits budgets. J’aime aussi la fidélité de ses collaborateurs. Après j’aime énormément Wim Wenders, Bertrand Blier ou Tarantino. Ces deux derniers m’ont beaucoup influencé dans le soin apporté aux dialogues justement.»
Vous avez réalisé quatre films, « Vasectomia », « Erwan et compagnie », « Erwan et plus si affinités » et « Retourne-toi », pouvez-vous nous expliquer l’atmosphère de vos longs-métrages ?
«Je pense que le point commun de ces films est probablement l’humour noir et l’amour des personnages décalés ou révoltés. J’aime parler des gens qui ne sont pas d’accord, qu’ils aient raison ou non, d’ailleurs. Il y a un adage que j’aime beaucoup et qui, me semble-t-il, résume assez bien mon travail : « l’humour est l’ultime arme des désespérés".»
Avez-vous évolué en tant que réalisateur depuis vos débuts ?
«C’est difficile à dire pour moi. Je pense que globalement ma caméra s’est un peu calmée. Là où j’aimais les cadrages qui bougent dans tous les sens, je préfère aujourd’hui des choses plus mesurées et justifiées.»
Comment se passent vos tournages, des anecdotes à nous raconter ?
«Vu les budgets modestes avec lesquels nous travaillons, nous devons tourner vite et de longues heures par jour. Il en résulte un mélange assez grisant de travail appliqué, d’humour potache, et de coups de gueules occasionnels. J’aime m’entourer d’amis comédiens ou techniciens, ce qui simplifie aussi les relations et le travail parce qu’on se connait tous très bien.»
«Cela dit, difficile de choisir une anecdote en particulier. Les situations les plus cocasses sont souvent liées à notre relation aux habitants des quartiers où nous tournons - particulièrement les scènes de fusillade. Bien sûr, nous mettons toujours un point d’honneur à avertir les riverains de nos tournages, par des campagnes d’affichage ou la presse, mais certains passent entre les goûtes.»
«C’est ainsi que des personnes se sont retrouvées couchées sur leur balcon ou dans leur voiture à appeler la police, persuadées qu’un braquage se déroulait en-bas de chez elles. Heureusement la police est toujours avertie de notre plan de tournage et peut ainsi tranquilliser les gens, si besoin.»
A quels obstacles vous êtes-vous confrontés lors de la réalisation de vos films ?
«Finalement le seul véritable obstacle, c’est l’argent. C’est compliqué de financer des films en Suisse, ce qui peut impacter le tournage d’un film. Mais j’aime penser que mes films ont suffisamment de qualités pour faire oublier leur petit budget.»
En 2021, vous avez sorti votre dernier long-métrage « Vasectomia ». Vous dites que le film est né à Paris, ville où vous vous trouviez le soir des attaques terroristes du Bataclan. Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter de la violence des hommes ?
«Je suis quelqu’un de plutôt paisible mais le monde est extrêmement violent. Quelque chose m’intrigue là-dedans. Cette expérience à Paris m’a profondément marqué bien sûr, car j’y ai vécu des moments de terreur pure. Je suis rentré en Suisse avec beaucoup de colère, avec une envie de revanche qui m’a poursuivi pendant plusieurs jours. J’ai eu l’impression d’être contaminé par la violence.»
«J’ai donc eu envie de questionner cela mais aussi de raconter - et comprendre - comment une religion peut amener aux pires exactions. « Vasectomia », c’est ça. C’est un film sombre mais qui m’a permis de faire la paix.»
Quelle est la question que l’on ne vous pose jamais mais à laquelle vous aimeriez répondre ?
«La place de la musique dans mon travail, peut-être. Contre toute attente, dans mes influences je citerais aussi Lou Reed qui a un impact constant sur mon travail d’écriture. Il y a dans ses chansons une palette extrêmement riche d’émotions et des portraits bouleversants. Il était un immense poète, doublé d’un grand musicien. Un artiste libre. C’est un vrai moteur et une source d’inspiration. D’ailleurs dans les décors de chacun de mes films, il y a un portrait de Lou Reed caché quelque part. Pour moi, c’est presque devenu un porte-bonheur, un symbole.»