«La Promesse verte», un thriller écologique dénonçant la déforestation pour la production d'huile de palme, sort ce mercredi 27 mars au cinéma. L'héroïne incarnée par Alexandra Lamy va tout entreprendre pour tenter de sauver son fils, condamné à mort en Indonésie. Rencontre avec le réalisateur Édouard Bergeon, toujours aussi engagé après son film «Au nom de la terre».
Édouard Bergeon: «Alexandra Lamy, c'est 'Madame Tout-le-Monde'»
Le thriller écologique "La Promesse verte" sort au cinéma le 27 mars: interview du réalisateur Édouard Bergeon.
22.03.2024
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce thème?
Édouard Bergeon: Dans mon premier film, «Au nom de la terre», je racontais l'histoire de mon père qui était agriculteur. J'ai grandi à la ferme. Il se trouve que «La Promesse verte» est née également d'une histoire agricole. Et même d'une histoire avec mon père, qui avait été encouragé par l'Europe, comme beaucoup d'agriculteurs il y a une trentaine d'années, à faire de la culture de colza pour produire du biodiesel.
Un thriller écologique avec Alexandra Lamy
Nord-Ouest Films
Pour tenter de sauver son fils Martin injustement condamné à mort en Indonésie, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels. Va-t-elle parvenir à faire plier ce système écrasant? À qui peut-elle faire confiance? Doit-elle agir discrètement ou, au contraire, alerter l'opinion sur ce qui se trame? Autant de questions soulevées dans ce thriller écologique signé Édouard Bergeon.
Et je suis tombé un jour sur un reportage qui montrait des agriculteurs français manifestant devant une raffinerie Total, puisque de l'huile de palme venant d'Indonésie et de Malaisie allait être importée à des prix défiant toute concurrence. Et encore une fois, ceux-là même qui, comme mon père, avaient été encouragés à cultiver de l'huile de colza, allaient être les dindons de la farce. C'est là que l'idée de ce film est née.
Donc je parle de la terre, celle qui nous nourrit et qu'on a cultivée, pour raconter la terre sur laquelle on vit, avec une forêt primaire à l'autre bout du monde qui nous fait respirer. Je parle d'importation, je parle de la colère de nos agriculteurs aussi, puisqu'on les a vus sortir sur les routes il y a quelques semaines en Europe.
N'importons pas du bout du monde ce qui a un coût social et environnemental qui n'est vraiment pas chouette, alors que nous, en Europe, en France, on a des normes et qu'on essaie de faire bien. On parle de l'huile de palme, mais ça aurait pu être du soja, du poulet brésilien ou ukrainien, c'est la même chose, c'est la même mécanique.
Il y a une phrase qui est citée par Martin au tout début du film, c'est une phrase de Châteaubriand qui dit: «Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent». Mais Châteaubriand, ça ne date pas d'hier... on se dit que rien n'a changé aujourd'hui. Quelle est votre vision là-dessus?
Bien sûr, l'homme consomme beaucoup, on cherche de l'énergie, on le voit bien... toujours la surconsommation. Et là, on consomme la forêt, l'arbre. C'est celui qui nous fait respirer, c'est lui qui apporte la pluie, et plus encore. Ils étaient là avant nous, ils seront là après nous, en plus. Donc il faut qu'on fasse attention justement à ne pas créer des déserts. Et malheureusement, c'est ce que je mentionne dans le film, il y a l'équivalent d'un terrain de foot de forêt primaire qui est détruit toutes les 5 secondes partout dans le monde.
Mais on voit que la politique peut faire bouger les choses. Le président Bolsonaro au Brésil, lui, il voulait tout déforester. Lula est arrivé, et déjà, ça a freiné énormément. On n'aura pas le choix à un moment donné. Les hommes sont résilients, la planète aussi, mais il va falloir qu'on le soit peut-être plus vite et qu'on soit moins dans cette consommation ultime et cette économie mondialisée. C'est ce que ce film raconte aussi.
Ça sert à ça un film? Ça sert à sensibiliser selon vous?
Le cinéma peut être divertissant mais souvent le cinéma crée de l'émotion. Et par l'émotion, dans cette salle incroyable qu'est le cinéma, où on pose son téléphone portable, où on prend la musique, les images, on peut ressortir avec vraiment un questionnement sur des sujets qui nous concernent.
Édouard Bergeon, un réalisateur engagé
blue News
Journaliste et auteur de documentaires, Édouard Bergeon a marqué les esprits avec son premier film autobiographique "Au nom de la terre" en 2019. Il y racontait l'histoire de son père agriculteur, campé à l'écran par Guillaume Canet, portant un regard humain sur l'évolution du monde agricole ces 40 dernières années. Engagé en faveur du monde rural, il multiplie les projets pour un rapport à la terre responsable et respectueux.
En l'occurrence, Alexandra Lamy, qui est l'héroïne du film, c'est «Madame Tout-le-Monde». J'ai voulu qu'elle le soit. C'est une comédienne populaire. On s'identifie à elle quand on est papa, maman. On s'identifie, quand on est jeune, à son fils Martin, qui est emprisonné.
Peut-être qu'on ressort de la salle de cinéma un peu différent. On est quelque part des «artivistes» avec la culture, l'art, la littérature, dans des pays, en Europe, où on a la chance de ne pas être censuré, contrairement à la Chine ou à la Russie.
Ça peut permettre de changer les choses, de gagner du temps en tout cas, même si on n'a pas la prétention de dire qu'on change le monde, le cinéma peut servir à ça. Et moi, d'où je parle, je parle de là où j'ai grandi, de la ferme, de la terre. J'ai grandi au milieu du vivant, des animaux, de la nature, dans un milieu où on doit s'adapter tous les jours, puisqu'on travaille entre le ciel et la terre.
C'est vrai que je mets ça aujourd'hui au cœur de mes films parce que c'est important de connaître cette nature et celles et ceux qui nous nourrissent, alors que la population devient de plus en plus centralisée dans des villes où il y a peut-être une perte de lien et un jugement d'urbain qui fantasme une réalité rurale et agricole qui n'est peut-être pas celle qu'elle est. C'est important de donner une voix au monde agricole et au monde rural.
Vous parliez de censure tout à l'heure. Vous avez la chance de ne pas être sous le coup de la censure. Néanmoins, l'action du film se déroule à Borneo, mais c'est pas à Borneo que vous avez pu tourner un film avec un tel propos...
Borneo c'est en Indonésie, on n'a pas cherché à aller tourner dans ce pays. Je pense qu'on n'aurait pas eu l'autorisation, parce que c'est vrai que l'Indonésie, c'est le premier producteur mondial d'huile de palme, c'est celui qui a le plus déforesté pour cette production-là. Donc c'est un peu «le méchant» du film.
On est allé tourner en Thaïlande, parce que c'est un pays hôte, un pays d'accueil de cinéma. Les Américains vont beaucoup tourner là-bas par exemple. Il y a une industrie du cinéma, des techniciens qui sont compétents et tous les jours, j'ai un plateau de 120 techniciens autour de moi. On y trouve aussi les décors qu'il fallait: il y a le l'huile de palme, c'est une industrie aussi là-bas, mais ce n'est pas leur première industrie, qui est le tourisme. Donc on a eu les permis de travail nécessaires, on a pu faire ce film comme on le voulait.
J'aimerais qu'on aborde aussi un peu «la petite histoire dans la grande», c'est-à-dire la relation entre cette maman et son fils, qui est une relation assez forte. C'est Alexandra Lamy qui porte le film et Félix Moati incarne son fils. Quel souvenir vous gardez de votre collaboration avec eux?
Formidable! Je les connaissais avant déjà parce que tous les deux sont réalisateurs aussi et tous les deux ont fait leur premier film chez «Nord-Ouest», qui a produit «Au nom de la Terre» et «La Promesse verte».
Alexandra est une comédienne populaire, tout le monde l'adore. Elle est vraiment géniale, c'est une grosse travailleuse; elle est très engagée notamment sur la cause des violences faites aux femmes. Et quand elle a lu le scénario, elle s'en est emparée. Elle a dit: «je veux défendre cette madame, cette mère qui va tout faire pour sauver son fils». Félix pareil, le scénario lui a parlé tout de suite, il a voulu incarner cette jeunesse qui se rend à l'autre bout du monde et qui veut voir ce qui ne va pas.
Ils ont travaillé l'un et l'autre avec un coach en commun, parce qu'ils étaient tous les deux sur des tournages respectifs, donc ils n'ont pas pu se voir beaucoup, mais on a préparé le film ensemble. Ils ont pu créer ce lien mère-fils, même s'ils ne sont pas souvent ensemble dans le film. Mais par contre, quand on est avec elle, on pense beaucoup à lui et quand on est avec lui, on pense beaucoup à elle. C'est un lien qui est très très fort, viscéral, en fait. Et cette maman, elle va tout faire, vraiment tout faire pour sauver son fils, c'est normal.
C'est vrai qu'on se met à sa place, on se dit: «Mais si ça m'arrivait, comment est-ce que je prendrais les armes pour me battre?» Et puis on se rend compte qu'elle se débat dans un monde qui la dépasse complètement...
Elle est écrasée, dans une lessiveuse. Avec des lobbies, avec le pouvoir de l'argent, avec la politique par là-dessus. Et on se dit qu'il y a un petit côté un peu désespérant dans ce système-là. En fait c'est un film doux-amer. Il y a une réalité mondialisée qui nous dépasse en effet. Mais en même temps, moi je suis quelqu'un de toujours optimiste, c'est un film où il y a de l'espoir, il y a du combat.
En 2023, le Conseil d'État (ndlr: français) a interdit l'importation d'huile de palme pour mettre dans les biocarburants, parce qu'il y a des ONG, des politiques qui se sont battus. Donc on a le pouvoir de faire changer les choses à grande échelle. Et on a le pouvoir, nous, déjà, d'acheter ce qu'on a envie d'acheter, de cuisiner, d'éduquer, de ne pas manger d'huile de palme par exemple.
Même si les déserts suivent les peuples, Martin dit dans le film que les déserts devront attendre avant de ravager toute la forêt. Je pense que cette nouvelle génération, à qui ce film s'adresse, fera les choses.
Vous faites confiance à cette génération-là?
Oui, parce que cette génération, elle a un téléphone portable: il n'y a plus de frontières, elle est informée sur tous les continents aujourd'hui. Donc on ne bâillonne pas la jeunesse. La jeunesse, si on la bâillonne, elle se révolte. Que ce film aille dans les collèges, les lycées, chez nous en France et j'espère en Suisse, c'est important.
L'éducation nationale a beaucoup aimé le film. Il y a un kit pédagogique qu'on a créé et il y aura beaucoup de projections autour du film sur la déforestation, et sur tout ce que ça raconte. Pour moi c'est là que c'est intéressant de parler à cette jeunesse.
J'ai incarné cette jeunesse non seulement par Martin, mais aussi par une activiste qui s'appelle Nila, très inspirée de lanceuses d'alertes en Indonésie. Aujourd'hui, les lanceurs d'alerte sont souvent des lanceuses d'alerte, ce sont souvent des jeunes femmes qui prennent la parole pour défendre leur peuple, leurs forêts, leur territoire. Et l'avenir de la planète passera sûrement par les femmes plus que par les hommes d'ailleurs. On a vu que les ravages que les hommes, ces sociétés d'hommes ont pu faire. Donc il y a quelque chose de plus sain chez les femmes.
Combien de films encore, combien de thèmes à exploiter pour essayer d'éveiller les consciences?
Je ne sais pas, c'est long un film. C'est comme l'agriculture, 5 ans pour le premier, 5 ans pour le deuxième. Il y a eu le Covid entre-temps, peut-être que ça ira plus vite pour le troisième. Moi j'essaie de faire ma part, dans la fiction, dans les documentaires que je continue toujours à réaliser. Puis on verra quel est le prochain.
Mais c'est vrai que je ne pense pas me détourner finalement de la ruralité et de l'agriculture parce que j'y suis né, parce que ça me traverse, parce que c'est important, je crois, de pouvoir avoir un pied dans les fermes et un pied dans le cinéma ou la télé. On n'est pas beaucoup à pouvoir le faire.
Donc si le public me suit et que ça peut éveiller certaines consciences, comme vous le dites, c'est génial. Parce que la terre, c'est tout ce qu'il y a sur notre table. C'est ce qu'on mange, ce qu'on boit. On y prend aussi beaucoup de plaisir.