La vente de passeports, c'est quelque chose de légal, à la portée de ceux dont le portefeuille est suffisamment garni. Mais la pratique questionne, notamment quant à l'origine des acheteurs. L'émission «Mise au Point» de la RTS a pu rencontrer un avocat zurichois, Christian Kälin, passé maître dans l'art du commerce de citoyennetés.
«Mise au Point» a enquêté sur le business juteux -mais tout à fait légal- de la vente de passeports. C'est dans ce secteur que l'avocat zurichois Christian Kälin s'est illustré dès les années 2000. La firme qu'il préside, Henley and Partners, vend des nationalités pour des sommes allant de 100’000 à plusieurs millions de francs, avance la RTS. Une industrie estimée à quelque 20 milliards.
Habituellement très discret, l'homme a accepté d'être interviewé sur son activité: «La citoyenneté est une loterie, argue-t-il. Personne ne choisit de naître dans tel ou tel pays. C’est injuste. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut rendre la citoyenneté accessible contre de l’argent ou de l’investissement.»
Quel contrôle?
Onze pays, dont des européens, comme Malte ou l'Autriche, figurent sur la liste des états vendeurs de «passeports dorés». Beaucoup sont néanmoins des micro-nations désargentées qui y ont vu une aubaine de décrocher «le jackpot», comme l'indique le journaliste Jérôme Galichet qui a mené l'enquête.
Ce dernier explique: «Normalement un double contrôle doit s'opérer. D'abord les firmes telles que Henley and Partners doivent s'assurer que les acheteurs sont 'clean', qu'ils ne sont pas condamnés dans leur pays et que l'origine des fonds n'est pas douteuse. Dans un second temps, les états qui octroient, in fine, la nationalité, devraient faire les vérifications nécessaires».
Mais au vu des montants dont il est question, l'enquêteur de «Mise au Point» poursuit: «On se rend compte que les sommes brassées sont tellement énormes que des largesses sont toujours possibles, voire de la corruption». Il prend notamment l'exemple de Chypre, où des passeports ont été vendus pour «7 milliards d'euros en quelques années». Jérôme Galichet conclut: «En fait on s'est rendu compte que le système était gangréné par la corruption à tous les niveaux».
Quant à Christian Kälin, il minimise: «Il y a quelques individus qui abusent du système, mais pas plus que dans la finance (...) Une nouvelle nationalité ne permet pas de blanchir de l'argent par exemple. Pour ça, vous devrez toujours utiliser une banque, donc le risque est minime».
Des oligarques russes deviennent citoyens européens
Si l'octroi de nationalités contre de l'argent n'est pas illégal, l'enquête pose toutefois la question des oligarques russes, qui peuvent ainsi facilement, moyennant paiement, échapper aux sanctions prononcées contre eux et même intégrer «l'espace Schengen, Suisse comprise», souligne la RTS.
L'équipe de journalistes, accompagnée d'un homologue local, vérifie directement sur le terrain: à Malte, des constructions inoccupées sont censées être les résidences de multimillionnaires russes ou émiratis. Or, ces derniers devraient théoriquement vivre sur l'île, selon les conditions fixées par l'achat de leur citoyenneté.
Roland Papp, enquêteur pour l’ONG Transparency International, se dit inquiet face à ces pratiques: «L'invasion de l'Ukraine nous a montré que plusieurs hommes d'affaires russes, dont certains sont des oligarques corrompus, sont devenus citoyens de l'Union européenne. Ils achètent leur nationalité et ensuite ils sont libres de faire ce qu'ils veulent et c'est compliqué de les stopper».
Il ne s'agit pas ici que d'un problème d'argent, mais aussi de sécurité, alerte encore Roland Papp, citant par exemple le nom d'Arkadi Voloj, un milliardaire russe proche du Kremlin, mis sous sanction de l’Union européenne l’été dernier et désormais devenu maltais.