«Moi, Capitaine» au cinéma Migration, du rêve au cauchemar: «La réalité est encore plus dure»

Valérie Passello

2.1.2024

Ce mercredi 3 janvier, le film «Moi, Capitaine», sort dans les salles obscures de Suisse romande. Ce récit initiatique réussit le pari de redonner figure humaine aux flux de migrants qui se pressent aux portes de l'Europe. Portée par la performance magistrale d'un jeune comédien amateur, l'histoire ébranle le spectateur. Rencontre avec le réalisateur Matteo Garrone et l'acteur principal Seydou Sarr.

Interviews Grand-Ecran:

Interviews Grand-Ecran: "Moi, Capitaine"

Rencontre avec le réalisateur Matteo Garrone et le comédien Seydou Sarr pour la sortie du film "Moi, Capitaine", le 3 janvier.

22.12.2023

Valérie Passello

2.1.2024

Tous les jours ou presque, la presse se fait l'écho de l'arrivée de migrants sur les côtes italiennes. Des bateaux remplis à craquer de personnes qui, pour des raisons diverses, ont tenté le voyage vers un avenir qu'elles espèrent meilleur en Europe. Mais pour beaucoup, le périple est fait de lourdes souffrances et il arrive souvent qu'il soit même mortel.  

Une quête initiatique
Affiche du film/Pathé

Seydou et Moussa sont deux cousins sénégalais de 16 ans qui rêvent de faire carrière dans le rap en Europe. Ensemble, ils préparent secrètement leur départ vers ce qu'ils croient être l'Eldorado. Mais ils sont loin de savoir ce qui les attend et refusent d'écouter les avertissements des adultes. Au fil du voyage, ils seront vite rattrapés par la dure réalité de la migration. Les trahisons, les tortures, les morts. Les épreuves traversées vont les faire grandir malgré eux. Suivre un rêve vaut-il vraiment de vivre un tel cauchemar? Le film laisse la question ouverte.

Avec «Moi, Capitaine», le réalisateur Matteo Garrone (ndlr: Grand Prix du jury à Cannes 2008 pour «Gomorra») a choisi de se pencher sur ce sujet qui n'est pas nouveau, mais qui reste en plein coeur de l'actualité. «Nous assistons depuis des années à une tragédie de notre époque», explique-t-il.

«Nous nous habituons à ces morts de migrants, qui deviennent simplement des chiffres. Mais derrière ce que l'on voit, il y a toute une partie du voyage que l'on ignore. L'idée du film est précisément de raconter ce que l'on ne connaît pas et de faire comprendre que derrière les chiffres, il y a des gens, des familles, des individus qui, comme nous, ont l'envie de voyager et de bouger, mais qui n'en ont pas la possibilité», ajoute le réalisateur. 

Si Matteo Garrone est touché par ce sujet, c'est parce qu'il a le sentiment d'assister à une injustice.

Il raconte: «À 18 ans, je rêvais de voyager et de découvrir le monde, ce que j'ai pu faire. Le film ne parle pas d'une migration contrainte par la guerre ou le changement climatique. Il parle de deux jeunes qui sont certes pauvres mais qui ont de quoi manger. Mais ils sont victimes d'un système lié à la mondialisation et aux réseaux sociaux. Chaque jour, à travers leur téléphone comme à travers une fenêtre, ils observent notre monde. Et ce que nous projetons est un monde de paillettes plein de promesses, ils ne voient pas ce qu'il y a en coulisses.»

«Ce film m'a fait grandir»

Repéré dans un casting alors qu'il n'avait encore jamais joué la comédie, Seydou Sarr tire admirablement son épingle du jeu en incarnant le personnage principal de cette épopée. «Mon rêve c'était d'être footballeur, mais ma mère faisait du théâtre au Sénégal et  ma grande soeur du cinéma. J'avais le don mais je ne le savais pas», raconte-t-il. 

Cette aventure cinématographique sous la direction de Matteo Garrone a profondément marqué le jeune comédien, à plus d'un titre: «J'ai appris beaucoup de choses, vraiment, raconte Seydou Sarr. Ce film m'a fait grandir. Il aborde une réalité que je ne connaissais pas et qui restera gravée dans mon esprit. Les jeunes Sénégalais ne sont pas du tout conscients de ce qui se passe lors du voyage. Mais lorsqu'ils verront le film, ils comprendront, parce que tout y est montré».

Il se souvient de scènes difficiles à tourner, comme celle où une femme meurt dans ses bras: «Mon père est mort dans mes bras six mois plus tôt. Pendant la scène, c'est lui que je voyais. C'était dur, mais ça m'a aidé», relate l'acteur. Pour préparer son rôle, Seydou Sarr a rencontré au Maroc des personnes ayant effectué le voyage vers l'Europe: «Je pense que leur histoire est bien plus dure que ce que l'on voit dans le film, la réalité est encore plus dure», considère-t-il.

Néanmoins, comprend-il pourquoi, malgré tout, les jeunes Africains continuent à rêver d'Europe? «Si c'était moi, je voudrais aussi venir en Europe. Je ne parle pas que du Sénégal, mais de toute l'Afrique: la situation y est très difficile. Quand tu es le garçon de la famille et que tu vois ta mère trimer, la dignité te pousse à partir tenter ta chance, pour aider ta famille», répond Seydou Sarr. 

«Si je dois faire la plonge, je le ferai»

«Moi, capitaine» fait partie des films italiens pré-sélectionnés pour les Oscars. Matteo Garrone s'en réjouit: «Cette nomination peut aider le film à se rapprocher du public». Même si la course aux Oscars est fatigante et que le réalisateur doit être très actif aux Etats-Unis pour tenter d'intégrer la «short-list» finale, il vaut la peine d'être défendu outre-Atlantique.

Matteo Garrone indique: «Le film plaît au public américain, car le voyage du héros a une structure linéaire. Aussi, les thèmes abordés sont très proches des Américains. Voyager dans un endroit où l'on recherche de meilleures opportunités, ça parle à ce pays qui a été construit par des immigrés. Et puis il y a le thème de l'esclavage, c'est aussi quelque chose qui les touche profondément».

Seydou Sarr, quant à lui, a déjà reçu une prestigieuse récompense à la Mostra de Venise: le jeune acteur a remporté le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir. Mais il ne se laisse pas enivrer par cette gloire: «Je suis fier et je profite de tout ce qui m'arrive comme d'une récompense pour le travail accompli. Mais si tout devait s'arrêter, je continuerais à aider ma mère qui est aveugle».

Comme le héros du film, le comédien est le seul garçon de la famille. Il a deux soeurs: l'une vit en France et l'autre au Sénégal avec leur maman. «Si je dois faire la plonge, je le ferai», affirme-t-il.

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