Et ça ne fait que commencer La flambée des prix du cacao n'épargne (presque) personne

rr

7.6.2024 - 10:12

La chocolaterie tient dans douze mètres carrés à peine. C'est ici que Christian Michaud, fondateur de Chocolat Madouce'heure à Genève, confectionne tablettes, pralines et autres gourmandises. Une production confidentielle d'à peine une tonne par année. Sa base de coûts est minime, mais depuis quelques mois les prix des matières premières, en particulier ceux du cacao, s'envolent.

La pression s'est accrue sur le marché de la fève et «les prix ont atteint des niveaux stratosphériques, c'est du jamais vu», souligne Alexandre Baradez, analyste chez IG Bank.
La pression s'est accrue sur le marché de la fève et «les prix ont atteint des niveaux stratosphériques, c'est du jamais vu», souligne Alexandre Baradez, analyste chez IG Bank.
PantherMedia / Jiri Hera

«Ce sont quelques dizaines de centimes le kilo, par-ci par là. Rien de bien alarmant à ce stade», détaille M. Michaud. Reste que la hausse pourrait s'accélérer dans les mois à venir.

Jusque là moins exposés aux brusques envolées des prix du cacao, car habitués à diversifier les régions de provenance des fèves et à travailler sur le long terme avec les producteurs, les acteurs de moindre envergure ne sont désormais plus épargnés. «Nous allons devoir sensiblement augmenter nos prix d'environ 10% en juillet», confie Stefan Künzli, directeur du marketing chez Felchlin, fournisseur schwyzois de produits semi-finis à base de cacao.

La pression s'est en effet accrue sur le marché de la fève et «les prix ont atteint des niveaux stratosphériques, c'est du jamais vu», souligne Alexandre Baradez, analyste chez IG Bank. Depuis janvier, le prix de la tonne de cacao a plus que triplé. Les prix ont ainsi bondi à plus de 12'000 dollars la tonne mi-avril, alors qu'ils évoluaient encore autour de 4200 dollars début janvier. Après avoir chuté sous les 7000 dollars mi-mai, le cours est à nouveau proche des 10'000 dollars début juin.

En cause, une situation de pénurie, face à une demande qui se maintient à un niveau élevé. «Les récoltes sont particulièrement mauvaises depuis trois ans en Côte d'Ivoire et au Ghana, deux pays qui concentrent à eux seuls près des deux-tiers de la production», relève Jean-Philippe Bertschy, analyste à la banque Vontobel. Les plants sont ravagés par des températures élevées et des maladies.

«Ces deux facteurs sont aggravés par la monoculture et une utilisation massive et à long terme de pesticides qui ont entraîné des résistances des pathogènes», pointe de son côté Silvie Lang, spécialiste des matières premières agricoles à l'ONG Public Eye. A cela s'ajoute l'orpaillage illégal, qui détruit les plantations de cacao, érode les sols et favorise la déforestation.

Des crocs acérés

La tension entre offre et demande aiguise par ailleurs l'appétit des spéculateurs: le cacao s'échange non seulement en sacs en jute, mais aussi sur les marchés à terme, sous forme de produits dérivés – des contrats appelés «futures» conçus pour des spéculateurs qui n'ont aucune intention de recevoir une cargaison de fèves, mais cherchent à gagner une prime sur la revente dudit contrat.

Difficile de chiffrer précisément la part spéculative, pointe M. Bertschy, pour qui 10% à 20% des stocks pourraient être en mains d'investisseurs financiers. Cela nécessiterait une analyste fine, pays par pays, note Alexandre Baradez, estimant que les prix sont aujourd'hui possiblement surévalués de 20 à 30%. Au total, les spéculateurs ont parié 8,7 milliards de dollars sur les contrats à terme de cacao à Londres et à New York, relève le Financial Times, citant les données de positionnement de la Commodity Futures Trading Commission.

Les géants du secteur cherchent à garantir leur approvisionnement, «en achetant à tout prix, grâce à leur force de frappe financière», ironise un spécialiste du marché, sous couvert d'anonymat. Ils tendent en outre à diversifier leurs fournisseurs dans diverses régions. De quoi accroître encore les tensions sur le marché. «Notre approche est basée sur le contact direct avec des producteurs répartis dans des régions jusqu'à présent moins prisées. Nous nous retrouvons désormais en concurrence avec les géants du secteur sur ce créneau», pointe Stefan Künzli.

Parmi ces colosses figure le zurichois Barry Callebaut. Le numéro un mondial, qui fournit notamment Nestlé et Mondelez (Milka, Toblerone) en produits à base de cacao et de chocolat, confirme se fournir en cacao «dans toutes les grandes régions productrices du monde». Non seulement pour couvrir la demande, mais aussi pour diversifier l'offre en spécialités, précise une porte-parole. La multinationale ne donne pas d'indication quant à d'éventuelles hausses de ses prix à venir, «compte tenu de sa taille», notant seulement être liée aux prix du marché.

Lindt & Sprüngli indique de son côté se fournir dans sept pays, via son programme d'approvisionnement estampillé durable et ce depuis une dizaine d'années déjà. Outre les deux grands pays producteurs, figurent la République dominicaine, l'Equateur, Madagascar, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Pérou. Quant à l'évolution des prix, la firme basée à Küsnacht prévoit une hausse entre 5 et 9% cette année.

Dans ce marché sous tension, jusque là soucieux de conserver le même niveau de prix, Christian Michaud n'aura cette fois plus le choix de les augmenter lui aussi.

rr