Irene Khan «La loi suisse sur les banques est un exemple de criminalisation du journalisme»

jc, ats

2.5.2022 - 21:23

La rapporteuse de l'ONU sur la liberté de la presse a annoncé son intention de fustiger sévèrement la Suisse devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU en juin prochain. Les conséquences de l'actuelle loi sur les banques pour les journalistes sont à l'origine de cette critique.

La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression s'est montrée critique envers la loi suisse sur les banques. (archives)
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression s'est montrée critique envers la loi suisse sur les banques. (archives)
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Keystone-SDA, jc, ats

«La loi suisse sur les banques est un exemple de criminalisation du journalisme. C'est normalement un problème dans les Etats autoritaires», déclare Irene Khan, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, dans une interview diffusée lundi soir dans l'édition en ligne du Tages-Anzeiger.

Cette loi l'inquiète beaucoup et elle entend aborder de manière critique la situation autour du secret bancaire en Suisse le 24 juin devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Elle présentera ce jour-là un rapport sur la «situation globale de la liberté de la presse».

Contraire au droit international

Selon elle, la protection globale du secret bancaire est contraire au droit international, notamment à un article du Pacte civil de l'ONU et à un article de la Convention des droits de l'homme. Ces textes garantissent la liberté d'opinion et la liberté de la presse. La Suisse les a signés et doit donc s'y conformer, fait valoir Mme Khan.

De son point de vue, la loi sur les banques viole les droits humains. Elle a en effet pour conséquence que la transmission de certaines données bancaires est passible de lourdes peines, voire de prison – indépendamment du fait qu'elles soient d'intérêt public ou non.

Autocensure

De plus, les peines sont très sévères. «Cela a un effet dissuasif et incite les journalistes à s'autocensurer», constate Irene Khan. Il s'agit d'une «censure des médias avant même qu'ils ne puissent enquêter ou publier».

Selon elle, la loi devrait permettre de mettre en balance le droit à la vie privée des personnes concernées et l'intérêt public à être informé de transactions financières illégales. Mais le texte actuel «punit d'emblée toute publication sans exception».

Irene Khan s'était déjà inquiétée de ses conséquences en février. A l'époque, des médias internationaux avaient rapporté que Credit Suisse aurait accepté pendant des années comme clients des autocrates, des trafiquants de drogue, ainsi que des criminels de guerre et des trafiquants d'êtres humains présumés. La banque avait contesté ces accusations.

Les médias suisses comme Tamedia avaient alors renoncé à participer à l'enquête, les journalistes risquant une procédure pénale s'ils écrivent sur des données bancaires divulguées, avait écrit le Tages-Anzeiger sur Twitter. Suite à cela, Mme Khan avait annoncé qu'elle souhaitait prendre contact avec le Conseil fédéral dans cette affaire.

Loi examinée par le Parlement

La rapporteuse de l'ONU a depuis écrit une lettre au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), à laquelle elle a reçu une réponse il y a quelques jours, dit-elle dans l'interview. Selon elle, le gouvernement suisse y dit s'engager à fond pour la liberté d'opinion, y ajoute qu'aucun journaliste n'a encore jamais été poursuivi sur la base de cette loi et que cette dernière est actuellement examinée par le Parlement.

Suite aux révélations de «Suisse Secrets», la Commission de l'économie du Conseil national avait décidé d'aborder le thème de la «liberté de la presse dans les questions relatives à la place financière» au cours du deuxième trimestre et d'organiser des auditions à ce sujet.

Irene Khan dit maintenant espérer que ce dernier «modifie enfin la loi en question pour qu'elle soit en accord avec les normes internationales des droits humains».