Pendant plusieurs semaines, des milliers de passagers en vase clos: les croisières ont tout pour constituer des foyers explosifs de Covid-19. Plusieurs cas en témoignent, mais il est difficile de déterminer à quel point le secteur a contribué à la pandémie.
«On a constaté que ces bateaux pouvaient être des incubateurs géants», résumait début mars à l'AFP Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères. Depuis l'apparition du nouveau coronavirus en Chine fin 2019, plusieurs navires de croisière sont, de fait, devenus des foyers dans la pandémie dont le bilan vient de dépasser les 120'000 morts.
Le cas du Diamond Princess, premier à avoir émergé, reste emblématique. Avec presque 4000 personnes à bord, ce bateau est resté en quarantaine tout le mois de février au large des côtes japonaises. Le nombre de cas y a culminé à plus de 700 pour une dizaine de morts confirmées à fin mars.
D'autres ont suivi, renvoyant systématiquement l'image de gigantesques bombes à retardement refusées par plusieurs ports alors que l'épidémie se propageait à bord. La Floride a ainsi accueilli ces derniers jours, avec plus ou moins de bonne volonté, plusieurs navires frappés par le Covid-19: le Zaandam, le Coral Princess, le Costa Magica...
Ce n'est pas une surprise. Des études documentent régulièrement en quoi les croisières en mer sont des lieux où se diffusent à vitesse accélérée des infections comme les grippes ou les gastro-entérites. «Le risque sanitaire est connu», souligne le docteur Jean-Pierre Auffray, président de la Société de médecine maritime. «Le dessein même d'un projet de croisière, c'est de faire rencontrer des gens et augmenter la socialisation».
Concentration de population
«C'est beaucoup d'animations: des piscines, des spas, des salles de sport, des fêtes, des restaurants... Il y a une concentration de la population et une concentration des activités», détaille-t-il.
Face à ce risque, le secteur a-t-il réagi assez vite? La question a deux faces. D'un côté, en maintenant trop longtemps leur offre, les exploitants auraient mis en danger leurs propres clients, d'autant que leur moyenne d'âge est élevée et que le coronavirus est surtout mortel pour les plus âgés.
Ensuite, ils auraient contribué à diffuser l'épidémie dans le monde, en débarquant des passagers non diagnostiqués, mais porteurs du coronavirus. Parmi les éléments qui appuient l'accusation de désinvolture, la justice floridienne enquête sur l'un des géants du secteur, Norwegian Cruise Line, soupçonné d'avoir vendu des croisières en recourant à des arguments fallacieux.
Arrêt total
Exemple: «le coronavirus ne peut survivre que dans le froid, donc les Caraïbes sont un excellent choix de croisières», rapporte dans un communiqué la justice de l'État américain, citant elle-même un média local, le Miami News Times. Interrogé par l'AFP, Norwegian n'a pas donné suite.
Plus largement, les croisiéristes ont attendu la mi-mars pour arrêter collectivement leurs activités. A ce moment-là, quelque 140'000 cas avaient été confirmés dans le monde, soit une très faible part de la population, mais une propagation exponentielle ne faisait plus de doute.
Une étude partagée au Congrès américain tablait par exemple mi-mars sur au moins 70 millions de cas à terme aux États-Unis, soit un quart de la population. «C'est facile de dire a posteriori qu'il aurait fallu faire autrement, mais nous avons surveillé la situation avec attention, en nous basant sur les orientations et les informations données par les États et les autorités de santé», explique Roger Frizzell, porte-parole du numéro un mondial des croisières, l'Américain Carnival, propriétaire du Diamond Princess.
Il souligne que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne donnait à l'époque que des recommandations parcellaires, centrées sur l'Asie. Il rappelle que son groupe avait déjà interdit à l'époque l'embarquement de tout passager passé par la Chine.
En tout état de cause, l'arrêt du secteur se fait progressivement. Selon les chiffres donnés par la principale fédération mondiale du secteur, la CLIA, environ un septième des navires de croisière – soit une petite quarantaine – étaient encore en circulation avec des passagers le 20 mars. Début avril, la proportion est tombée à un vingtième.
Les avions, autre vecteur
A quel point ces navires sont-ils encore des dangers pour le reste du monde? Un pays constitue un avertissement: l'Australie, où plus de 6000 cas étaient confirmés début avril. Sur ces cas, plus de la moitié viennent de l'étranger, selon les données actualisées quotidiennement par le ministère de la Santé, et parmi ces derniers, environ un tiers descendaient d'un navire de croisière.
Le ministère ne détaille pas les bateaux concernés, mais l'un d'eux concentre l'attention publique, au point de faire l'objet d'une enquête de police: le Ruby Princess, également exploité par Carnival, a débarqué mi-mars 2700 passagers, dont certains manifestaient des symptômes grippaux.
Certes, l'Australie est en très bonne voie pour ralentir la propagation du virus. Les bateaux de croisière ont donc peu de risques de s'avérer le point de départ d'une épidémie majeure dans le pays. Surtout, il est difficile de déterminer à quel point le cas australien peut être généralisé.
«A ma connaissance, il n'y a pas d'exemple historique où une croisière ait été un point de départ ou d'accélérateur d'une épidémie», minimise l'épidémiologiste Mircea Sofonea.
«Les avions ont un potentiel beaucoup plus grand, puisque les gens voyagent sur de bien plus grandes distances et prennent des correspondances dans des aéroports qui sont des noeuds aériens», relève-t-il.
Il souligne qu'en durant longtemps, les croisières laissent au moins le temps d'identifier une partie des personnes infectées, même si le flou persiste actuellement sur la proportion de porteurs du virus qui ne présentent pas de symptômes.
«Dans un avion, les gens sont contaminés et ensuite on les perd de vue. Vous ne contaminez pas tout le monde, mais vous n'avez aucun moyen de mettre en quarantaine ceux qui le sont», conclut M. Sofonea.
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