«Allo l'au-delà»? A Villars-Burquin, un «téléphone du vent» pour parler aux disparus

sj, ats

29.12.2023 - 09:54

Se recueillir dans une cabine téléphonique plutôt que sur une tombe: à Villars-Burquin (VD), au-dessus de Grandson, un «téléphone du vent» offre la possibilité symbolique d'appeler et de se reconnecter avec un proche décédé et de parler avec lui. Une cinquantaine de personnes ont déjà fait appel à ce lieu «différent» dédié au deuil depuis mai 2023.

Patrick Genaine, parle dans une cabine téléphonique "Le téléphone du vent" le mardi 26 décembre 2023 a Villars-Burquin dans le canton de Vaud. 
Patrick Genaine, parle dans une cabine téléphonique "Le téléphone du vent" le mardi 26 décembre 2023 a Villars-Burquin dans le canton de Vaud. 
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Keystone-SDA, sj, ats

Au numéro 20 du chemin de Poéty, elle est posée sur une plateforme en bois dans un coin de l'immense jardin de Patrick Genaine, spécialiste dans l'accompagnement du deuil, éloignée de sa maison. Entourée d'arbres, de plantes, de buissons et de fleurs, la cabine téléphonique offre une vue panoramique sur le sud du lac de Neuchâtel et sur les Alpes, du Moléson au Mont-Blanc.

Sobre, élégante, en bois et largement vitrée. A l'intérieur, il y a deux vieux téléphones, sans prise, posés sur une petite table murale, deux tabourets, un cahier, un stylo et deux notices d'explications, une pour les petits et une pour les grands. C'est «Le téléphone du vent», un moyen simple, intime et poétique de parler avec l'au-delà, d'aider enfants et adultes lors d'un deuil.

Une histoire japonaise

«C'est en lisant un livre d'une sociologue française établie au Japon que je suis tombé sur dix petites lignes évoquant l'histoire de la cabine téléphonique d'Itaru Sasaki», explique Patrick Genaine, gardien du lieu qui a construit lui-même sa cabine en trois mois.

En 2010, marqué par la mort de son cousin et sans savoir comment gérer ce qu'il vivait à la suite de ce décès, M. Sasaki décida de mettre une ancienne cabine téléphonique, récupérée dans un centre commercial en démolition, dans son jardin. Puis il s'y rendit pour lui parler et honorer sa mémoire, raconte M. Genaine à Keystone-ATS. Une manière d'élaborer son deuil et d'exprimer ses émotions.

Cette installation l'aida à accepter la perte et à mieux traverser cet événement douloureux. Considérant que c'était le vent qui transmettait ses paroles à son cousin, M. Sasaki donna le nom de «Kaze no denwa» ("téléphone du vent") à sa cabine. En 2011 à la suite du tsunami et de la catastrophe nucléaire de Fukushima, il décida d'ouvrir sa cabine au public.

«Une évidence»

«Si c'est bien un Japonais qui a lancé le concept, ce n'est en rien une tradition ou un rituel japonais en tant quel tel», aime à préciser M. Genaine. «Cela aurait pu se faire n'importe où ailleurs dans le monde». Selon lui, il existe trois «téléphones du vent» au Japon et une centaine dans le monde, mais en comptant le concept américain de nombreux téléphones simplement accrochés à des arbres.

Et une seule en Suisse, au pied du Jura. «De par mes formations et mon parcours, j'ai tout de suite senti le potentiel de cette cabine. C'était une telle évidence», confie-t-il. A l'intérieur, chacun dit ce qui lui vient sur le moment. «Il s'y passe un truc. On peut y laisser filer ses pensées».

Après la perte d'un proche, est-ce que l'on dit tout à sa famille, à un ami, à son thérapeute et même à soi-même? Le gardien de la cabine ne le pense pas.

«Seul, tranquille, comme protégé, dans un lieu à la fois neutre et intime, cela permet de vivre une expérience différente, de se reconnecter avec les disparus, de garder une forme de relation avec les morts. Des émotions et des souvenirs peuvent se libérer, une porte affective s'ouvrir, si quelque chose était encore coincé», relève M. Genaine. «C'est une solitude partagée et habitée».

Passer dans les moeurs

Depuis l'ouverture de la cabine le 15 mai dernier, Patrick Genaine estime qu'une cinquantaine de personnes l'ont utilisé en six mois, au vu des mots laissés dans le cahier. Le compte Facebook des lieux enregistre, lui, plus de 1200 amis à ce jour.

«J'aimerais bien que ce téléphone du vent passe dans les moeurs, qu'il soit socialement connu, reconnu, accepté et intégré dans nos sociétés», souhaite Patrick Genaine. «C'est un autre outil pour affronter le deuil, pour se recueillir autrement que sur une tombe».

Utiliser «Le téléphone du vent» est gratuit. La cabine est ouverte tous les jours de l'année entre 14h00 et 19h00. Il n'y a pas besoin de prendre rendez-vous. On peut y venir seul, en couple ou en famille. Il est aussi possible de rencontrer le «gardien du lieu» et d'échanger avec lui.