Dessin Albertine ou les délices du trait

ATS

18.7.2020 - 08:01

Albertine la Genevoise dessine sans fin. Dans un an, elle ira chercher le prix Andersen à Moscou avec son mari et complice Germano Zullo. D'ici là, elle continue de publier, d'exposer et de participer à la création de courts-métrages.

Albertine ne sait pas si elle partira cet été. «J'espère pouvoir m'évader un moment, mais c'est loin d'être sûr tellement j'ai de travail», explique l'illustratrice genevoise, qui s'est vu décerner ce printemps le prix Andersen, l'équivalent du prix Nobel pour les illustrations, qu'elle recevra des mains de la reine du Danemark en Russie en septembre 2021.

Ce prix, qui ira aussi à son mari Germano Zullo avec qui elle conçoit une grande partie de ses albums, ne va pas influencer sa façon de travailler. La cadence des rencontres, qui jouent un rôle-clé dans la vie de la Genevoise, pourrait elle s'accélérer. «Un scénographe vous téléphone parce qu'il aimerait collaborer avec vous, un musicien vous contacte pour une pochette de disque. Des galeries, des musées vous impliquent dans des projets», égrène-t-elle.

Albertine, ce prénom que l'on aperçoit dans la presse depuis le début des années 90 quand elle publiait des dessins de presse, n'est pas un nom de plume. «Il n'y a pas de référence à Proust.»

Souvent en photo avec son mari dans sa maison, nichée au creux de la campagne genevoise, Albertine aime pourtant bouger. «La plupart de leurs idées surgissent en déplacement. La maison en revanche sera le lieu de la réflexion, de l’étude, puis de la mise en route des projets.»

Quand elle dessine, elle ne pense pas au lecteur, mais à être au service de l'idée, «au plus près de ce que l'on avait envie de raconter et le plus sincèrement possible.» «Parce que l'idée ne surgit pas toujours aussi facilement», souligne-t-elle.

Sa fantaisie, son imaginaire sont nourris de l'époque dans laquelle nous vivons, «que l'on aime certains de ses aspects ou pas. Nous intégrons tout cela dans nos livres, mais jamais de manière frontale»

Un trait

Albertine a son propre style, un trait que l'on reconnaît qui vient d'un plaisir naturel de dessiner dès l’enfance. «Puis ce plaisir devient un besoin, une nécessité. Et puis de la nécessité une faculté de nourrir son dessin, de le faire évoluer, d’échapper à la virtuosité pour approfondir et explorer de nouvelles formes narratives.»

Tous les enfants dessinent plus ou moins, puis cela s’arrête, sauf pour quelques-uns, comme Albertine. Que lui apporte ce médium qu'elle ne trouve pas dans l’écriture par exemple?

«Le dessin est une écriture», réplique-t-elle. Cela a toujours représenté son principal moyen de communication. «Vous ne pouvez pas vous mentir quand vous travaillez. C'est peut-être la même chose que pour un sportif ou un scientifique. On pourrait parler d’une ambition qui vous pousse toujours à dépasser ce qui est acquis, une volonté d’exploration.»

Ce qui lui fait prendre un crayon de couleur, un pinceau ou une mine de plomb, c'est encore l'histoire. De nouveau elle choisit la technique qui porte au mieux l’idée. Qui l'inciterait par exemple à écarter la couleur, amenant trop de subjectivité, pour viser du plus graphique, avec du noir-blanc.

Primée comme illustratrice de livres pour enfants, elle ne se laisse pas enfermer dans une seule catégorie. «J'aime approcher toutes sortes de modes d'expression: cela va du carnet d'artiste unique aux albums, aux expositions, à un travail de laboratoire plus personnel, aux films d'animation.» On se souvient aussi de l'ambiance sulfureuse qui se dégageait de ses premiers dessins érotiques, à la galerie librairie Humus à Lausanne.

Car l'oeil de la Genevoise est insatiable. «Je m’inspire de tout. Je suis forcément sensible à ce qui se passe autour de moi.» Sans oublier les artistes. Elle suit le travail de certains comme Jockum Nordström, Marisol ou Paul Cox.

Aller au dessin sans complexe

Elle évoque encore le dessinateur Saul Steinberg, qui lui a appris «la profusion du dessin, le bonheur de produire des idées, des projets, d'aller au dessin sans complexe.» Le peintre Alex Katz lui plaît pour la sorte de silence qui émane de ses toiles et David Hockney pour les postures des corps qu'il esquisse. «Ils font partie des gens que je garde très, très près dans ma bibliothèque.»

Les livres d'Albertine et de Germano voyagent aussi. Ils sont traduits dans une vingtaine de langues en Europe, en Asie, en Amérique latine. Ils le sont également au Liban et en Iran, pays dans lesquels le couple s'est rendu récemment.

Détournement

Comme pour d'autres dessinateurs, les images d'Albertine sont régulièrement volées sur le Net. Si elle est attentive au fait qu'elles ne soient pas utilisées à mauvais escient, elle pense que le détournement fait partie de la vie d'une oeuvre.

Plus cocasse, elle reçoit des messages de personnes qui veulent se faire tatouer un de ses dessins sur la peau. «Je dis oui tout de suite, mais je leur demande de m'envoyer une photo, car je suis curieuse.»

Côté édition, un album pour enfants, Séraphine, va sortir en août à la maison d'édition la Joie de lire à Genève, où elle a publié une trentaine d'ouvrages pour la jeunesse, dont la plupart écrits avec son mari. Albertine travaille encore sur trois expos pour 2021, et trois albums, dont deux avec Germano à finir d'ici septembre. Sans oublier que le couple collabore à un film d'animation, «Les Autruches», un court-métrage de 4 minutes, qui sortira sur les écrans l'an prochain.

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