Témoignage glaçant «Certains meurent et d'autres festoient» - Un prisonnier devenu bourreau raconte

AFP

3.11.2023

Quand Shahjahan Bouya a été incarcéré, il n'avait tué qu'un seul homme. A sa libération des décennies plus tard, il en avait exécuté des dizaines. Il était devenu le plus actif des bourreaux du Bangladesh.

Quand Shahjahan Bouya a été incarcéré, il n'avait tué qu'un seul homme (image d’illustration).
Quand Shahjahan Bouya a été incarcéré, il n'avait tué qu'un seul homme (image d’illustration).
imago/ZUMA Press

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A chaque exécution, il était récompensé par un repas spécial composé de bœuf, de poulet et de riz pilaf parfumé, plus quelques mois de réduction de sa peine de 42 ans d'emprisonnement. Il a été remis en liberté au début de l'année. «Certains meurent et d'autres festoient», observe ce moustachu de 70 ans, encore plein de force, «voilà le tableau de la prison».

Au Bangladesh, numéro trois mondial pour le nombre de condamnations à mort selon Amnesty International, les prisonniers sont eux-mêmes chargés des exécutions par pendaison.

Révolutionnaire marxiste instruit, Shahjahan Bouya a rejoint dans les années 1970 les rebelles Sarbahar qui tentaient de renverser le gouvernement de l'époque, le jugeant à la solde de l'Inde voisine. M. Bouya a été condamné pour la mort en 1979 d'un camionneur dans des échanges de tirs avec la police.

En détention, pendant les douze ans qu'a duré le procès, le traitement de «première classe» réservé aux bourreaux a attiré son attention, en voyant l'un d'eux se faire masser par quatre détenus. «Un bourreau a tellement de pouvoir», a-t-il pensé. Et il s'est porté volontaire.

Sa première pendaison, à la fin des années 1980, reste gravée dans sa mémoire. Il assistait alors un bourreau et se souvient du condamné qui «récitait calmement une Kalima», profession de foi islamique, «sans une larme».

«Face à la mort»

Une fois la demande de grâce présidentielle rejetée, un condamné à mort peut être pendu à tout moment. Mais le bourreau en est informé plusieurs jours à l'avance. M. Bouya lubrifiait alors sa corde, puis il testait le mécanisme d'ouverture de la trappe.

La famille du condamné était convoquée pour les adieux. Puis de l'eau chaude parfumée aux herbes était apportée pour la toilette du prisonnier, avec des vêtements blancs et le dernier repas de son choix.

Un religieux musulman venait prier avec lui pour le pardon de ses péchés. Une minute après minuit, raconte le bourreau, «nous menottions le prisonnier par derrière et lui bandions les yeux avec un masque noir. Ensuite, nous l'emmenions à la potence, lui glissions le nœud coulant autour du cou et lui demandions de réciter la Kalima».

«Quand le directeur de la prison baissait son mouchoir, je tirais sur le levier», explique-t-il. Il parlait rarement au condamné. «Face à la mort, que peut-il ressentir?», dit-il. «Il sait qu'il quitte le monde.»

«Un autre aurait fait le travail»

Les autorités pénitentiaires estiment que M. Bouya a mené 26 exécutions, mais lui en a compté 60.

Parmi les condamnés passés entre ses mains figurent des officiers de l'armée incriminés dans le coup d'État de 1975 et le meurtre du dirigeant fondateur du pays, père de l'actuelle Première ministre Sheikh Hasina.

En 2007, il a pendu Siddique Islam, alias Bangla Bhai, un dirigeant islamiste de l'organisation interdite Jamaat-ul-Mujahideen Bangladesh qui avait commis une série d'attentats à la bombe à l'échelle nationale.

Le bourreau a également exécuté six dirigeants de l'opposition, dont cinq issus du plus grand parti islamiste du pays, condamnés pour crimes de guerre commis pendant la guerre d'indépendance en 1971.

Les défenseurs des droits humains jugent profondément défectueux le système pénal du Bangladesh, mais M. Bouya rejette leurs critiques, même s'il estime qu'au moins trois des personnes qu'il a exécutées étaient innocentes. «Si je ne les avais pas pendues, quelqu'un d'autre aurait fait le travail», fait-il valoir.

«Jamais seul»

Désormais libre,  Shahjahan Bouya loue une pièce dans un quartier modeste de Keraniganj, en banlieue de Dacca. Il montre fièrement un petit morceau de cette corde qui a pendu tant de condamnés. «Certains croient qu'il a un pouvoir extraordinaire», dit-il.

En prison, il partageait sa cellule avec une vingtaine de détenus et les lumières étaient toujours allumées. S'il se réveillait durant la nuit, certains discutaient ou jouaient aux cartes. «Nous discutions, je n'étais jamais seul», raconte-t-il, désormais «je garde une faible lumière allumée, car je ne peux pas dormir dans l'obscurité».

Il a abandonné le marxisme et s'est tourné vers l'islam en prison. Il rêve d'un pèlerinage dans la ville sainte de la Mecque, en Arabie Saoudite. «Je n'ai qu'un petit souhait: accomplir la Omra (petit pèlerinage, ndlr) avant ma mort», confie-t-il, «le reste dépend de ce qu'Allah donne.»