«Ça aurait pu être moi» Tinder et scopolamine, cocktail mortel pour les «sexpats»

AFP

24.1.2024

La femme était «belle». Sans doute trop d'ailleurs... C'est à peu près la seule chose dont l'Israélien Omer Bloch se souvient d'un rendez-vous Tinder dans la ville colombienne de Medellin, où la «belle» en question l'a dévalisé après l'avoir endormi avec une drogue locale puissante.

Une femme se tient dans une rue de Medellin, en Colombie, le 29 novembre 2023. - La mort «suspecte» de huit Américains à Medellin entre novembre et décembre 2023 a incité l'ambassade américaine à recommander de ne pas utiliser d'applications de rencontres en Colombie. (Photo par Fredy Builes / AFP)
Une femme se tient dans une rue de Medellin, en Colombie, le 29 novembre 2023. - La mort «suspecte» de huit Américains à Medellin entre novembre et décembre 2023 a incité l'ambassade américaine à recommander de ne pas utiliser d'applications de rencontres en Colombie. (Photo par Fredy Builes / AFP)
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Après le dîner, M. Bloch est rentré chez lui avec sa compagne d'un soir et a débouché une bière. Il s'est réveillé le lendemain à midi les poches vides, ses affaires disparues, et la tête à l'envers.

«Je me souviens seulement d'avoir voulu l'embrasser dans le cou. Et puis clac», gros trou noir. «Je me suis réveillé» sans aucun souvenir, raconte à l'AFP l'homme d'affaires de 28 ans. «J'ai eu du mal à sortir du lit. C'était comme si j'étais ivre».

Il a fait le tour de son appartement et constaté que son «iPad avait disparu» ainsi que son «portefeuille et cartes de crédit».

Selon les résultats d'analyses médicales, Omer Bloch a été drogué avec de la scopolamine, un alcaloïde puissant utilisé comme «drogue des voleurs» contre des touristes un peu trop naïfs en visite dans la célèbre ville colombienne.

Sexpats

Autrefois réputée dans les années 1990 pour sa violence liée au narcotrafic, Medellin, la «ville du printemps éternel» aux 2,6 millions d'habitants, est aujourd'hui une étape incontournable du tourisme branché et pour les «nomades» digitaux.

Avec sa vie nocturne animée à base de reggaeton et la prostitution légale, c'est aussi un haut-lieu du tourisme sexuel mondial.

Début janvier, l’ambassade des Etats-Unis a publié une alerte, après la mort «suspecte» à Medellin de huit Américains entre novembre et décembre 2023, et recommandé de ne pas utiliser d'applications de rencontres en Colombie.

«Les circonstances indiquent une possible consommation de drogue, un vol et une overdose. Plusieurs cas impliquent l'utilisation d'applications de rencontres», a détaillé la mission diplomatique.

Dans l'un des épisodes les plus médiatisés, l'humoriste américain Tou Ger Xiong a été enlevé puis retrouvé mort le 11 décembre après avoir rencontré une femme dont il avait fait la connaissance en ligne.

«Cela aurait très bien pu être moi», commente M. Bloch, toujours installé dans l'une des tours résidentielles luxueuses s’élevant le long des avenues escarpées d'El Poblado, le quartier de prédilection des étrangers. «Je pensais que c'était une fille comme les autres, un rendez-vous comme les autres», déplore-t-il, qualifiant de «sexpats» ceux qui «viennent ici pour faire la fête, s'amuser et faire l'amour».

Le nombre d'étrangers visitant Medellin est passé de 212.000 en 2015 à 1,4 million en 2022. Les morts violentes «augmentent avec le nombre de visiteurs», note William Vivas, médiateur des droits humains de la municipalité.

En attendant les chiffres de 2023, le parquet local indique avoir traité 82 cas d'étrangers victimes de «vol au moyen d'une substance toxique» en 2022. Ce chiffre officiel ne donne pas une idée juste du phénomène, alors que beaucoup de victimes ne portent pas plainte.

A Medellin comme Bogota, chaque weekend, les dragueurs de Tinder tombent comme des mouches par poignées, confie une source diplomatique. Certains sont même parfois séquestrés pendant plusieurs jours, pour être libérés en échange d'une rançon.

Arbre de «l'ivrogne»

La scopolamine est extraite de l'arbre Brugmansia, reconnaissable à ses élégantes fleurs blanches ou jaunes en forme de cloches. Connu sous le nom de «borrachero» (ivrogne) pour ses effets psychotropes il est très commun en Colombie.

Les criminels extraient la scopolamine (dont l'usage est interdit en Colombie) des graines noires des fruits et la diluent secrètement dans les boissons de leurs victimes, ou leur projettent parfois la poudre au visage.

L'effet est immédiat, et se traduit par une perte quasi-totale de la volonté, une forme de torpeur qui fait de vous un légume malléable à volonté.

«Certaines personnes peuvent somnoler. D'autres peuvent être amnésiques (...). On peut constater aussi de la tachycardie, de l'hypertension et des convulsions», prévient Diana Pava, toxicologue au sein du groupe de recherche sur les substances psychoactives de l'Université nationale.

A fortes doses et combinée à l'alcool, la scopolamine peut être mortelle. De plus, prévient la biologiste, il est difficile de la détecter dans le sang ou les urines car l'organisme l'élimine rapidement.

Après sa mésaventure, M. Bloch a partagé son histoire sur les réseaux sociaux et a été surpris de constater le peu de sympathie de la population locale. De même, lorsque ce type d'incident est publié dans la presse, les commentaires louent souvent comme une «vengeance» ces vols contre les étrangers pratiquant le tourisme sexuel.

«Il y a des gringos (étrangers) qui sont des salauds et qui profitent des femmes, mais que se passe-t-il quand ce sont les gentils qui tombent dans le panneau de la scopolamine?», s'interroge l'homme d'affaires.

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