Carnet noirL'ethnologue Jean Malaurie est mort à l'âge de 101 ans
ATS
5.2.2024 - 17:37
L'ethnologue et éditeur Jean Malaurie, inlassable avocat des «peuples premiers» particulièrement du Grand Nord, est décédé à Dieppe à l'âge de 101 ans, a annoncé lundi son fils Guillaume à l'AFP.
05.02.2024, 17:37
ATS
À la fois explorateur, scientifique et aventurier, il a passé dix ans de sa vie entre le Groenland et la Sibérie. Il a été rendu célèbre par un livre en défense des Inuits, «Les Derniers Rois de Thulé» chez Plon en 1955, où il dénonçait la destruction de leur territoire par l'armée américaine pour l'implantation d'une base aérienne, et décrivait le mode de vie d'un peuple méconnu.
Le livre fut le premier titre d'une collection à succès qui existe toujours, Terre humaine. Jean Malaurie la dirigea jusqu'en 2016, et en fut le président d'honneur jusqu'en 2021.
«C'était un géant. Jean Malaurie vient de partir pour l'autre côté de l'horizon. Il laisse une oeuvre d'une profondeur magistrale», a écrit sur X l'anthropologue Philippe Charlier, qui dirige cette collection depuis 2021.
Il était à l'honneur fin janvier à l'Unesco avec une exposition de ses pastels, dépeignant les régions polaires. Il avait publié en 2001 «L'Art du Grand Nord». Grand intellectuel, reconnu pour ses apports cruciaux à l'ethnologie de l'Arctique, et force de la nature, il a publié en 2022 ses mémoires, «De la pierre à l'âme», toujours chez Terre humaine.
Ce titre était une évocation de sa conception scientifique selon laquelle la culture et le système de croyances de l'individu (l'âme) ne pouvait être compris sans tenir compte de ses relations à son milieu naturel.
Approche interdisciplinaire
Jean Malaurie est né le 22 décembre 1922 à Mayence (D) où enseignait son père, dans une famille bourgeoise et austère. Il racontait qu'une traversée du Rhin gelé, effectuée tout gamin, a peut-être déterminé sa vocation pour le monde des glaces.
Résistant pendant la guerre, il suit à Paris des études de lettres et de géographie. Avec son maigre salaire d'attaché de recherche au CNRS, il part à Thulé, au nord-ouest du Groenland en 1950 en qualité de cartographe et géocryologue (spécialiste des minéraux). Ce séjour changera sa vie.
«Terre humaine» (ed. Plon) est née parce qu'il a été «bouleversé» en 1951 par l'implantation brutale d'une base nucléaire américaine: il a voulu mettre en garde contre le risque que la terre ne soit plus, un jour, humaine. A son catalogue figure le «Tristes tropiques» de Claude Lévi-Strauss.
Croisant la géographie, l'ethnologie et l'histoire, Jean Malaurie a contribué à bâtir une nouvelle approche interdisciplinaire de l'étude de l'homme.
«J'aimerais juste que mes cendres soient dispersées au-dessus de Thulé, au Groenland. D'une façon ou d'une autre je continuerai à vivre, peut-être reviendrai-je sous la forme d'un papillon?», confiait-il au magazine Télérama, à quelques mois de ses 98 ans.