«Pouponnière de tueurs à gages» Décapitations et meurtres: le narcotrafic gangrène l'Equateur

ATS

17.5.2022 - 08:16

Luis Sarmiento était sorti tôt un matin de mars acheter du pain avec son petit-fils dans sa ville de Duran, en Equateur, quand il a découvert dans la rue deux corps sans tête et menottés. Par réflexe, il a détourné le regard de l'enfant, qui a compris malgré tout le macabre message laissé par les trafiquants de drogue.

La police équatorienne garde des paquets de drogue saisis lors de plusieurs opérations menées il y a plusieurs mois et qui vont maintenant être détruits, dans la ville de Cayambe, en Équateur, le 21 avril 2022.
La police équatorienne garde des paquets de drogue saisis lors de plusieurs opérations menées il y a plusieurs mois et qui vont maintenant être détruits, dans la ville de Cayambe, en Équateur, le 21 avril 2022.
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«J'ai couvert les yeux de mon petit-fils, je suis remonté chez moi, j'ai fermé les fenêtres et je n'ai plus rien su», dit aujourd'hui cet ouvrier à la retraite de 78 ans, qui vit depuis 16 ans dans le quartier pauvre de Cerro Las Cabras, à Duran, ville de 200'000 habitants située près du port de Guayaquil (ouest).

Le trafic de drogue gangrène ce quartier juché sur une colline devenue une «pouponnière de tueurs à gages», dit à l'AFP un ancien chef de police sous couvert d'anonymat. Les gangs recrutent dès l'âge de 10 ans pour vendre de la drogue. «D'abord, ils vendent, puis ils leur donnent une arme et ils deviennent des tueurs à gages», confirme le commandant de la police de Duran, le colonel Jorge Hadathy.

Violence endémique

Dans une planque des «Los largartos» (Les lézards), un des gangs de Duran, les autorités ont saisi de nombreuses peluches de crocodiles. La police pense que pour familiariser, puis attirer plus tard les enfants dans leur organisation criminelle, les gangs font leur publicité en distribuant des jouets rappelant leur effigie.

Sur les 230 délinquants arrêtés à Duran entre janvier et avril 2022, l'écrasante majorité était des mineurs ou à peine majeurs. «Et ils ont déjà commis quatre ou cinq meurtres», assure le colonel Hadathy. La violence est devenue endémique à Cerro Las Cabras.

En février, deux corps ont également été retrouvés suspendus à un pont piétonnier. Depuis octobre 202, ce sont près d'une dizaine de corps, mutilés, pendus ou décapités, qui ont été laissés à la vue de tous, signature des règlements de comptes à la cruelle manière des cartels mexicains.

Ces assassinats sont le fruit de la guerre que se mènent les bandes rivales pour mettre la main sur les trafics locaux, qui, selon les chiffres officiels, peuvent générer 1,8 million de dollars par mois dans la seule ville de Duran.

Supermarché

Depuis janvier à Duran et dans les villes voisines de Samborondon et Guayaquil, principal port du pays et point de départ d'expédition clandestine de cocaïne vers l'Europe et les Etats-Unis, 363 personnes sont mortes dans des crimes liés au trafic de drogue.

Sur les pentes de Cerro Las Cabras, une trentaine de policiers inspectent les véhicules à la recherche de drogues ou d'armes. Dans le quartier, des policiers à cheval fouillent un homme. Les voisins observent les opérations du coin de l'oeil, sans sortir de chez eux ni engager la conversation. La loi du silence règne ici.

C'est un «supermarché de la drogue», dit le colonel Hadathy. «Les familles vivent de la vente ou reçoivent de l'argent des mafias et le reste se tait par peur».

Lors de leur dernier raid à Cerro Las Cabras, les policiers étaient appuyés par l'armée mobilisée dans le cadre de l'état d'urgence décrété par le gouvernement dans trois provinces, dont celle de Guayas où se trouve Duran, pour faire face aux mafias.

Prisons surpeuplées

«Les gangs jouent au chat et à la souris avec nous», dit le sergent Washington Reyes. Ils se servent des enfants auxquels ils donnent des talkies-walkies «de la taille d'un briquet» pour que ces derniers les avertissent des opérations.

Des chefs du redoutable gang de «Los Choneros» sont issus de Cerro Las Cabras. Junior Roldan et Ben 10 ont tous les deux commencé comme tueurs à gages, selon les autorités. Los Choneros sont aussi impliqués dans les violences barbares qui secouent depuis des mois les prisons surpeuplées du pays, où les gangs règlent leurs comptes.

Lundi, 44 prisonniers sont morts dans la prison de Bellavista, dans la province de Santo Domingo de los Tsachilas, à 80 km de l'ouest de Quito, dans des affrontements entre deux gangs rivaux locaux.

Depuis février 2021, environ 400 détenus ont été tués dans ces affrontements pour le contrôle de la prison.