JaponDénouement d'un procès historique sur des violences sexuelles
ATS
9.12.2023 - 07:43
Un tribunal au Japon doit rendre mardi son verdict concernant trois anciens militaires jugés pour violences sexuelles dans l'armée nippone. La décision est très attendue dans un pays où le mouvement mondial #MeToo a trouvé relativement peu d'écho jusqu'à présent.
Keystone-SDA
09.12.2023, 07:43
ATS
L'ancienne soldate Rina Gonoi, 24 ans, avait provoqué une rare prise de conscience nationale au Japon l'an dernier en clamant haut et fort avoir été harcelée et agressée sexuellement par plusieurs collègues.
Devant l'immobilisme de sa hiérarchie et le rejet d'une première plainte devant la justice, la jeune femme avait décidé de rendre publique sa situation via les réseaux sociaux. Sa pétition en ligne pour exiger une «enquête équitable, des sanctions et des excuses» avait rapidement recueilli plus de 100'000 signatures.
Sous la pression, le ministère de la Défense avait rouvert le dossier et reconnu que Mme Gonoi disait vrai. L'ancienne soldate poursuit désormais au civil ses agresseurs présumés et l'Etat japonais, en vue d'obtenir des dommages et intérêts.
Un procès pénal s'est également ouvert cette année contre les trois anciens militaires accusés d'avoir mimé en 2021 un rapport sexuel avec Mme Gonoi, en la maintenant allongée de force avec les jambes écartées, tandis que d'autres collègues masculins observaient la scène en riant. C'est l'issue de ce procès qui est attendue mardi à Fukushima (nord-est du Japon). Le parquet a requis deux ans de prison ferme pour les trois accusés.
Profondes inégalités hommes/femmes
Intégrer les Forces japonaises d'autodéfense était un rêve d'enfant pour Rina Gonoi. Mais elle a sévèrement déchanté dès son entrée dans l'armée en 2020. «Lorsque vous marchez dans le couloir, quelqu'un vous met une claque sur la hanche, ou vous agrippe par derrière. On m'a embrassée sur la joue et empoigné les seins», confiait-elle dans un entretien accordé à l'AFP début 2023.
Etre obligée de médiatiser son malheur a été une solution de «dernier recours», expliquait-elle, se disant davantage «désespérée que courageuse». Ses révélations ont incité de nombreuses autres victimes à dénoncer à leur tour des faits de violences sexuelles dans l'armée.
Il est pourtant très rare au Japon de voir des victimes de tels faits s'épancher, par peur de créer de l'embarras, mais aussi par craint de ne pas être prises au sérieux et soutenues. «Seulement 5% des victimes de viol au Japon le signalent à la police, qui n'accepte d'établir un procès-verbal que dans la moitié des cas environ, privant ainsi les autres de toute possibilité d'action en justice», selon Machiko Osawa, chercheuse sur les inégalités hommes-femmes au Japon.
«C'est vrai que le mouvement #MeToo a été relativement lent à prendre au Japon (...). Mais la situation change progressivement», selon Teppei Kasai, un responsable en Asie de l'ONG Human Rights Watch interrogé par l'AFP.
Il a cité en exemple une réforme législative en juin dernier qui a clarifié et élargi la définition du viol dans le code pénal japonais, afin de faciliter les actions en justice en la matière. Une autre figure de proue de #MeToo au Japon est la journaliste Shiori Ito, qui en 2019 a remporté un procès civil contre son violeur présumé, Noriyuki Yamaguchi, un ancien journaliste très influent. Il n'a cependant jamais été poursuivi au pénal.
Admirée, mais aussi diffamée
Beaucoup de femmes japonaises travaillent, mais peu d'entre elles occupent des postes à responsabilités, aussi bien dans les institutions publiques que dans les entreprises privées et en politique. Le Japon est aussi le pays du G7 où les inégalités de salaires hommes-femmes sont les plus importantes.
En revanche, Rina Gonoi est encensée à l'étranger: la BBC l'a incluse dans sa liste 2023 des 100 femmes les plus influentes au monde, et elle figure également dans la dernière liste annuelle de personnalités montantes «100 Next» du magazine américain Time.
Mais la jeune femme a aussi subi un déluge d'insultes sur les réseaux sociaux japonais après ses accusations. «C'est dur», confiait-elle début 2023 à l'AFP. «Il y a quelque chose qui ne va pas au Japon: les gens s'attaquent aux victimes plutôt qu'aux auteurs».