LittératureDaniel de Roulet veut donner une voix à ceux qui n'en ont pas
bu, ats
1.2.2024 - 10:34
Lorsque l'auteur genevois Daniel de Roulet écrit un roman, il veut donner une voix à ceux qui n'en ont pas. Rencontre avec l'écrivain qui aura 80 ans le 4 février.
Keystone-SDA, bu, ats
01.02.2024, 10:34
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«L'histoire est toujours racontée d'en haut, je la raconte d'en bas», explique Daniel de Roulet à Keystone-ATS Deux exemples tirés de son œuvre récente sont «Le bonnet rouge» (2023) et «Dix petites anarchistes» (2018). Il s'agit du destin de mercenaires suisses dans le premier livre et de l'émigration forcée dans le deuxième; deux faits historiques.
«Je trouve tragique que l'on raconte que la Suisse a toujours été neutre ou qu'elle est la plus vieille démocratie du monde», déclare Daniel de Roulet. «L'origine de notre richesse ou le problème peu glorieux des mercenaires n'ont pas leur place dans les récits historiques officiels». L'auteur oppose son scepticisme à l'égard de la représentation officielle de l'histoire suisse par la littérature.
Faits et imagination
Daniel de Roulet raconte des histoires «où les faits sont lacunaires». Dans le cas des mercenaires, il est bien documenté sur le déroulement de la carrière du chef de régiment. Mais ce à quoi ressemblait la vie des mercenaires, cela n'est pas documenté. «J'ai donc besoin de mon propre imaginaire pour obtenir un tableau complet».
L'auteur, aujourd'hui installé à Genève, parle français et allemand, grâce à un père romand et une mère alémanique. Il a grandi dans la petite ville horlogère de Saint-Imier, dans le Jura bernois.
Son père était un pasteur tourné vers les autres, comme il l'écrit dans «A la garde. Lettre à mon père pasteur» (2019). Dans cette lettre de 80 pages, il dresse un portrait rempli d'affection à l'égard de ses parents et de ses origines.
L'auteur montre sa position
Mais il a abandonné le protestantisme de sa famille au profit de l'athéisme. «Je suis quelqu'un dont la devise est 'ni Dieu ni maître'». Une attitude qui transparaît clairement dans «Dix anarchistes», par exemple. D'ailleurs, Daniel de Roulet ne cache pas son propre «je» dans ses livres: «Si je donne une voix à ceux qui n'en ont pas, c'est aussi ma voix», dit-il.
Mais le rôle que ce «je» joue dans ses livres a évolué au cours de sa vie d'écrivain. Son premier roman «Double. Un rapport» (1998) était «totalement autobiographique». Dans le contexte du scandale des fiches, il a utilisé ses dossiers des services secrets pour faire de sa propre vie, de son appartenance à la gauche, un roman.
«J'ai lu ma propre vie par le trou de la serrure de la police. Cela a été un choc pour moi et une bonne matière». Il est fier du fait que «jusqu'à présent, aucun autre auteur n'a traité le scandale des fiches».
Ses romans les plus récents ne mettent plus l'autobiographie au centre, Daniel de Roulet utilise plutôt des éléments biographiques. Par exemple, dans le dernier chapitre du «Bonnet rouge», il raconte qu'il est arrivé à l'histoire des huit mercenaires par son propre ancêtre, Jacques-André Lullin de Chateauvieux, propriétaire du régiment de mercenaires.
Une illusion
Entre «Double. Un rapport» et «Le bonnet rouge», il y a eu des œuvres critiques envers la science sur des thèmes comme l'énergie nucléaire ou sur les OGM avec le roman «Gris-bleu» (1995). «Je suis parti de l'illusion de pouvoir éveiller l'intérêt des scientifiques pour la littérature», explique l'écrivain.
Lui-même, après des études de sciences humaines à Paris et à Genève, a d'abord travaillé comme architecte, puis dans l'informatique; jusqu'en 1997, il a dirigé le centre de calcul de l'Hôpital cantonal de Genève. Il commence alors à écrire. Il s'était imaginé pouvoir «réunir la science et la littérature», par exemple avec «La danseuse et le chimiste» (2003).
Selon l'idée du Genevois d'adoption, la littérature, parce qu'elle porte un regard extérieur sur la science, peut ouvrir de nouvelles perspectives, par exemple sur la manière dont les domaines de recherche pourraient se rejoindre.
Sa propre voix littéraire
Entre-temps, Daniel de Roulet a trouvé sa propre voix littéraire. Il raconte les histoires de toute une communauté, d'une société, peut-être de la Suisse. «Ce qui m'intéresse, c'est de savoir d'où vient la société, dans quelle direction elle va». Et la littérature a un rôle à jouer à cet égard: «Les puissants vous accablent de leur succès. A leurs esclaves, aux moins fortunés, seule la littérature rend la parole», écrit-il en conclusion du «Bonnet rouge»; ou dans «L'oiselier» (2021): «En somme, il ne reste que le roman pour questionner la vérité».
L'auteur, qui a 80 ans le 4 février, affirme qu'il est absolument nécessaire d'opposer à l'historiographie courante le récit d'en bas. «Si nous laissions cela aux seuls nationalistes, nous aurions Guillaume Tell et Heidi. Un tel kitsch nationaliste est pour moi un mensonge». Sa littérature se veut «un grain de sable dans les rouages»: «Si je ne le faisais pas, ce serait comme si j'étais d'accord».