«Un outil pédagogique puissant» Les jeux de guerre remis au goût du jour

AFP

24.11.2022 - 15:32

Treillis camouflés, conciliabules concentrés, deux officiers italiens affrontent deux Britanniques. Leurs armes? Des soldats en plastique et des chars miniatures évoluant sur un petit plateau coloré à l'occasion d'un «wargame» ou jeu de guerre, auquel le conflit en Ukraine donne un intérêt renouvelé dans les armées occidentales.

Dans les armées, les jeux de guerre remis au goût du jour par le conflit en Ukraine
Dans les armées, les jeux de guerre remis au goût du jour par le conflit en Ukraine

Au total, six équipes militaires – Allemands, Américains, Belges, Britanniques, Français et Italiens – ont combattu mardi et mercredi par le biais de pions interposés dans les vastes salles de l'Hôtel des Invalides à Paris, à l'occasion d'une rencontre internationale de jeu de guerre organisée par l'École de guerre-Terre.

La pratique n'est certes pas neuve: le «Kriegsspiel» (jeu de guerre, en allemand) a été développé dès le XIXe siècle par l'armée de Prusse pour former ses officiers aux tactiques de combat. Et depuis, la totalité ou presque des états-majors mondiaux y ont eu recours.

Mais avec la perspective d'un possible retour des conflits majeurs entre grandes nations, le jeu de guerre «est vraiment revenu sur le devant de la scène depuis cinq à dix ans, et spécialement dans l'armée de terre, ça fait deux-trois ans qu'on travaille intensément dessus», a expliqué mercredi le colonel Sébastien Chênebeau, directeur de l'École de guerre-Terre, précisant qu'environ 40 heures par an de «wargame» ont été introduites depuis cette année dans le cursus les stagiaires de l'institution.

«Le but c'est de se préparer à un conflit sans avoir à déployer toutes les troupes sur le terrain. C'est gagner du temps, de l'argent, s'autoriser l'échec pour pouvoir en tirer des leçons et pouvoir s'améliorer. Ça a l'avantage d'être un mode de préparation des opérations qui est à très bas coût avec un excellent rendement», résume-t-il.

«Formation d'officiers ukrainiens»

La plupart des jeux utilisés par l'École de guerre-Terre sont d'ailleurs disponibles dans le commerce pour quelques dizaines d'euros. 

Et comme pour les militaires, ce type de jeu présente de multiples avantages pour des civils, chefs d'entreprises, chercheurs, journalistes, etc., explique à l'AFP Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES) qui organise régulièrement pour le grand public des sessions de wargames ou serious games ("jeux sérieux").

«Ça force réellement à se poser la question de l'objectif que je cherche à atteindre, des moyens et de la stratégie nécessaires en fonction du contexte et de la stratégie des autres joueurs. C'est un outil original, pas assez répandu en France, alors qu'il l'est beaucoup dans le monde anglo-saxon pour contribuer à la réflexion stratégique», assure M. Razoux.

Grand avantage des jeux de guerre, une multitude de compartiments de la confrontation peuvent y être simulés, du soutien de l'opinion publique à l'évolution de l'économie mondiale, en passant par les manœuvres d'influence ou l'effet des combats sur les chaînes logistiques des armées.

Exemple, «quand on voit exactement ce qui se passe en Ukraine, on a bien raison de travailler la logistique. Quand on voit les taux de pertes, en matériels, en hommes, la régénération que ça demande, les menaces qu'il y a sur les arrières», estime le colonel Chênebeau.

Les jeux de guerre font d'ailleurs partie de l'aide apportée par les pays occidentaux à l'Ukraine dans sa guerre contre la Russie, notamment lors des offensives de reconquête ukrainiennes de Kharkiv et de Kherson, en août-septembre.

«Il y a eu des sessions de jeux de guerre organisées avec des officiers de l'état-major ukrainien par certaines grandes nations», explique Antoine Bourguilleau, enseignant chercheur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur de l'ouvrage «Jouer la guerre» (Ed. Passés composés).

«Dans la manière dont les Ukrainiens ont mené la préparation de leurs offensives, le jeu a effectivement été un facteur important pour affiner» les plans, pointe ce chercheur, par ailleurs réserviste et formateur à l'École de guerre-Terre.

«Discussion et questionnement»

«Les jeux de guerre sont importants, et pas seulement pour les visions opérationnelles ou stratégiques qu'ils peuvent générer (...). Cet apprentissage expérientiel –-apprendre par la pratique-– s'est avéré être un outil pédagogique plus efficace que de simples conférences ou séminaires. C'est très puissant», souligne auprès de l'AFP  Michael Petersen, directeur au Naval War College américain.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que la pratique du jeu est capable à elle seule de faire apparaître des réponses toutes faites aux problématiques militaires. Selon les experts interrogés par l'AFP, son intérêt réside davantage dans sa capacité à créer de la discussion et du questionnement.

Cette faculté est «d'autant plus importante avec le retour des conflits de haute intensité. La guerre au XXIe siècle est extraordinairement complexe. Mais si un scénario est correctement conçu, il peut révéler des dynamiques, des effets et des idées secondaires et tertiaires qui n'auraient peut-être pas été révélés autrement», assure M. Petersen.