Depuis leur base antarctique La douloureuse impuissance de scientifiques ukrainiens

AFP

8.4.2022 - 13:30

Mesurer, observer, analyser... Faire leur travail de scientifique «du mieux possible». Parce qu'ils ne peuvent guère faire autre chose, parce que c'est leur «façon de participer». Pour une douzaine d'Ukrainiens en poste sur la base antarctique de Vernadsky, le froid mord moins que l'impuissance, à 15.000 km de leur pays en guerre.

«Au début, nous n'avons pas pu dormir pendant plusieurs jours, à tout moment on essayait de suivre les nouvelles de nos villes respectives. Maintenant on vérifie au moindre temps libre», raconte Anastasiia Chyhareva, météorologiste de 26 ans, dans des messages à l'AFP depuis la base ukrainienne.

Située sur l'île de Galindez, à 1.200 km de la pointe de la Terre de feu argentine, la base cédée en 1996 par la Grande-Bretagne est occupée à l'année par une douzaine de personnes. En cet automne austral la température varie entre -3 et +1 degrés, mais peut descendre en dessous de -20 en hiver.

Leur quotidien: observations météo, géophysique, géologique, biologique, quand le temps le permet car l'équipe peut parfois être confinée tout une journée par une tempête de neige. Et depuis un mois, une sorte «d'effort de guerre» à distance.

«Ma première impression (de la guerre), c'était des choses se passant dans un autre univers, pas notre monde à nous. Mais ma femme à Kharkiv (est) a entendu et senti l'impact de missiles dix minutes après que Poutine a commencé cette guerre stupide et criminelle. Ca m'a mis en un instant au coeur du sujet», raconte Oleksandr Koslokov, géophysicien.

«C'est dur d'être si loin de ma famille»

«Je n'ai pas eu le temps de réfléchir, d'être démoralisé. Il fallait que j'aide et conseille ma famille, pour survivre et s'échapper de ma ville, à 40 km de la frontière russe, avant qu'elle ne devienne un enfer de flammes. Tout ce que je pensais ou faisais était subordonné à cet objectif». Sa famille a réussi à gagner l'Allemagne.

Sorties de travail quotidiennes, dimanches libres, dîners soignés tous ensemble les samedis soirs: la vie, entre bribes d'informations de guerre, continue mais «forcément moins festive» à la base, qui porte le nom d'un géochimiste du 20e siècle d'origines russe et ukrainienne.

Entre deux messages rageurs sur Vladimir Poutine, tous, comme Artem Dzhulai, biologiste de 34 ans, le disent: «c'est dur d'être si loin de ma famille et de ne pas pouvoir les soutenir».

«Il y a toute la gamme des émotions ici», résume Oksana Savenko, qui étudie les baleines à bosse. «La tristesse et l'angoisse pour nos parents et amis, mais aussi un gros moral et une fierté de notre armée et notre peuple qui luttent courageusement pour leur droit de vivre dans un pays libre».

«On se lève a 02H00, 07H00 en Ukraine, pour savoir comment s'est passée leur nuit. Je ne peux pas commencer à travailler avant de voir un message de ma famille disant que tout est OK», raconte Anastasiia. 

Ici un conseil pratique, là un soutien moral, des dons à l'armée ukrainienne, une signature de pétition, l'enregistrement de cours en ligne pour «distraire des enfants ukrainiens»... les scientifiques se sont creusés la tête pour essayer d'aider. Quitte à réaliser que leur mission est peut-être simplement... de continuer à l'assurer.

«On essaie de faire notre travail scientifique du mieux qu'on peut. C'est notre effort de guerre à nous», avance Anastasiia. 

«J’essaie d'être fort pour mon pays»

«Les Ukrainiens tiennent, s'entraident, aident notre armée. Je suis fier d'eux. Alors j’essaie d'être fort pour eux, pour mon pays. J'essaie de bien faire mon boulot», appuie un autre scientifique, qui souhaite l'anonymat.

La distance qui ajoute à l'impuissance leur fait souligner l'importance d'aider l'Ukraine. Comme Artem, encore amer de «l'indifférence des pays démocratiques» sur la Crimée annexée par la Russie en 2014. «Ils pensaient que la souffrance d'autres ne les affecterait pas directement (...) mais tout ceci peut changer si ce Mal n'est pas stoppé». «Ne vous lassez pas de l'Ukraine!» supplie Anastasiia.

Courant avril, l'équipe sera relevée, après son année écoulée. L'avenir est incertain pour les partants, même si comme Anastasiia beaucoup veulent «aller en Ukraine dès que possible». Mais après? «Je n'ai pas de réel projet. Je n'arrive pas à m'imaginer quoi faire les mois à venir».

«Mon université à Kharkiv, l'institut de recherche où je travaillais, ont été détruits», raconte Oleksandr. «Il va falloir que je décide ce que je fais après avoir rejoint ma famille en Allemagne. Peut-être essayer de continuer mon travail de scientifique en Europe ou en Amérique dans un premier temps...? On verra avec le temps».