«Sept ans pour de la poésie»Deux Russes condamnés pour un poème hostile à l'offensive en Ukraine
ATS
28.12.2023 - 22:57
Un tribunal de Moscou a condamné jeudi à des peines allant de cinq ans et demi à sept ans de prison deux poètes russes qui avaient participé à une lecture contre le conflit en Ukraine. C'est une illustration supplémentaire de la répression sévissant dans le pays.
Keystone-SDA
28.12.2023, 22:57
28.12.2023, 23:47
ATS
Des milliers de Russes, opposants ou citoyens ordinaires, ont été condamnés par les tribunaux pour avoir critiqué l'offensive contre l'Ukraine depuis deux ans, parfois à des peines particulièrement sévères.
«Honte» ont hurlé les soutiens d'Artiom Kamardine, 33 ans, et d'Iegor Chtovba, 23 ans, à l'annonce de ce jugement, la femme du premier lui criant qu'elle l'aimait, a constaté une journaliste de l'AFP présente à l'audience. «C'est de l'arbitraire absolu!», s'est exclamé le père d'Artiom Kamardine, Iouri.
Plusieurs personnes ont été arrêtées par la police devant le tribunal après le jugement des deux hommes. «Tout le monde est égal devant la loi, mais quelques-uns sont plus égaux que les autres. Nos fils se sont révélés inégaux dans la lutte contre eux», a ironisé sa mère, Elena.
«Tue-moi, milicien!»
Artiom Kamardine et Iegor Chtovba avaient été interpellés en septembre 2022 après avoir participé à une lecture publique à Moscou sur la place Trioumfalnaïa, près du monument au poète Vladimir Maïakovski, un point de rendez-vous de dissidents depuis l'époque soviétique.
Lors cette lecture, Artiom Kamardine avait récité un poème, «Tue-moi, milicien!», hostile aux séparatistes prorusses de l'est de l'Ukraine. Le lendemain, il avait été arrêté lors d'une perquisition à son domicile pendant laquelle il a affirmé avoir été tabassé et violé avec un haltère par des policiers.
D'abord poursuivis pour «incitation à la haine», les deux poètes ont ensuite été également inculpés d'"appels publics à commettre des activités contre la sécurité de l'Etat».
«Rompre le silence»
Juste avant l'énoncé de la décision jeudi, M. Kamardine a lu quelques vers sur la poésie, qui permet selon lui de «rompre le silence» et de «mettre ses tripes sur la table». «La poésie est la victoire sur le temps, et le chemin du prisonnier, du captif», a-t-il récité.
Il a aussi lancé à la presse qu'il «n'abandonnait pas» et ne se «repentait pas». «Beaucoup de gens de la culture que j'admire ont vécu l'expérience de la prison, par exemple Maïakovski», a-t-il dit. «Je ne suis pas un héros, et aller en prison pour ce que je pense n'a jamais fait partie de mes plans», avait affirmé Artiom Kamardine à la cour, dans son discours final, posté sur Telegram par ses soutiens.
Implorant le juge de le laisser «rentrer à la maison», il avait promis en retour de se tenir à distance de tout «sujet sensible».
«Insensé d'espérer»
Son épouse, Alexandra Popova, a regretté auprès de l'AFP une peine «très sévère». «Sept ans pour de la poésie, un délit non violent», a-t-elle pointé.
«Nous avions beau vouloir croire au fond de nous que les choses seraient plus douces, plus faciles», il était «insensé d'espérer», a-t-elle poursuivi. «Si nous avions des tribunaux normaux, cette situation n'existerait pas». Elle a été emmenée par la police après s'être exprimée devant la presse.
Un troisième poète, Nikolaï Daïneko, arrêté en même temps, a été condamné à quatre ans de prison en mai, selon OVD-info.
Répression accrue
La Russie réprime depuis des années les voix critiques, mais la campagne de répression a pris une ampleur considérable avec le lancement de l'offensive contre l'Ukraine.
La quasi-totalité des opposants d'envergure ont été emprisonnés ou poussés à l'exil et des milliers de Russes ordinaires ont été poursuivis et condamnés à des amendes ou des peines de prison pour avoir manifesté leur désaccord avec le Kremlin.
En novembre, l'artiste Alexandra Skotchilenko, arrêtée en Russie en avril 2022, a ainsi été condamnée à sept ans de prison pour avoir remplacé les étiquettes de prix dans un supermarché par des messages dénonçant l'offensive en Ukraine.
Selon OVD-Info, près de 20'000 personnes ont été arrêtées en Russie pour leur opposition au conflit en Ukraine depuis février 2022. L'ONG Memorial recense 633 prisonniers politiques derrière les barreaux.