Ukraine Les enfants, les grandes victimes des la guerre

ATS

1.5.2022 - 08:43

Marquisa n'est plus la même: elle dort toute la journée et reste éveillée toute la nuit, s'inquiète Natan, 12 ans, en montrant une chatte à l'abondant pelage blanc duveteux, recroquevillée dans sa caisse de transport.

Les plus gravement atteints sont les enfants qui ont fui à pied avec leur famille après avoir vécu terrés dans des sous-sols pendant des semaines, estime une psychologue. (illustration)
Les plus gravement atteints sont les enfants qui ont fui à pied avec leur famille après avoir vécu terrés dans des sous-sols pendant des semaines, estime une psychologue. (illustration)

Keystone-SDA

C'est peut-être le stress de toutes ces bombes russes tombées sur Marioupol, cherche à s'expliquer ce petit garçon rencontré dans une tente aménagée en aire de jeu à Lviv pour les enfants déplacés vers l'ouest de l'Ukraine, loin des combats.

Laissant Marquisa à son sommeil, il va jouer avec d'autres enfants. Les uns empilent des cubes sous des mobiles d'origamis, d'autres colorient des personnages de bandes dessinées.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février a forcé au moins les deux tiers des 7,5 millions d'enfants du pays à fuir leur lieu d'habitation, selon l'ONG Save the Children. Alors que la guerre entre dans sa 10e semaine, les spécialistes de l'enfance sont de plus en plus préoccupés par son impact mental sur les plus jeunes Ukrainiens et leurs parents.

Dans la tente installée par l'Unicef (Fonds des Nations unies pour l'enfance) devant un bâtiment municipal de la ville de Lviv, proche de la frontière polonaise, Natan s'occupe pendant que ses parents règlent des formalités administratives. A quatre pattes sur le tapis, il offre un tour de piste à cheval sur son dos à un tout petit, aux anges.

«Retrouver ma mère et mon fils»

Sa mère Olena revient le chercher au bout de longues heures. «Il a toujours été sociable», dit-elle. Mais ce soir-là, Natan et ses parents doivent reprendre le train vers l'est pour commencer une nouvelle vie dans la capitale Kiev et elle se dit que son troisième enfant, sous ses airs joyeux, est un peu inquiet. «Il a peur d'aller là-bas. Il a survécu aux bombardements à Marioupol, il sait ce que c'est», dit cette assistante médicale de 51 ans.

La famille est arrivée à Lviv début avril fuyant cette ville portuaire du sud-est assiégée, aujourd'hui quasiment entièrement contrôlée par les Russes. Avant de partir, ils avaient bravé les bombardements russes en sortant de leur abri pour monter dans les étages et sauver Marquisa de l'appartement en feu.

Mais, las de vivre et de dormir par terre dans une salle de classe de Lviv, ils veulent à présent tenter leur chance à Kiev, les forces russes s'étant retirées depuis près d'un mois de la banlieue de la capitale.

Olena a accompagné sa fille de 16 ans jusque dans une auberge de jeunesse en Allemagne et son fils de 28 ans a été fait prisonnier par les Russes. Elle a perdu tout contact avec sa mère restée à Marioupol. «Je ne peux pas partir avec mes enfants. Il me faut retrouver ma mère et mon fils», dit-elle. En s'éloignant avec ses parents et avec Marquisa dans sa boîte, Natan fait un signe d'adieu de la main.

Souvenirs disparus

Quelques heures plus tard, un missile russe s'est abattu sur Kiev après deux semaines de répit et en pleine visite du Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres.

La psychologue pour enfants Natalia Tiboura dit avoir rencontré de nombreux parents et enfants sous la tente de l'Unicef. Plusieurs parents sont venus la voir pour demander conseil au sujet d'un fils devenu soudain plus agressif mais bien d'autres, surtout parmi les rescapés de Marioupol, ont simplement besoin de se confier à quelqu'un.

Souvent, ils sont déchirés par la culpabilité d'avoir laissé un être cher derrière eux ou bien obsédés par le regret de ne pas avoir apporté plus de photos dans leurs maigres bagages. «Beaucoup me parlent des albums de famille et certains ont même été obligés d'effacer les photos de leur téléphone» pour pouvoir passer les barrages de contrôle russes à la sortie de Marioupol.

Mais les plus gravement atteints, ce sont les enfants qui ont fui à pied avec leur famille après avoir vécu terrés dans des sous-sols pendant des semaines. «Leur cerveau est passé en mode survie», lance-t-elle.

Les traumatismes pourraient bien se manifester plus tard et le pays doit se préparer à une bombe à retardement, alerte Mme Tiboura. «Les gens auront besoin de beaucoup de soutien», surtout les familles dont un membre reviendra du front, dit-elle.