Témoignage en ValaisFamille d'accueil: «Plein de fois, on fait le poing dans la poche»
Valérie Passello
5.2.2024
Chaque année dans le Valais romand, des dizaines de mineurs sont accueillis dans des familles qui leur offrent un cadre sécurisé, le temps que leurs parents puissent à nouveau, idéalement, assurer leur prise en charge. Temporaires ou à long terme, plusieurs types d’accueil existent. Emma* se charge de l’accueil d’urgence d’enfants et d’ados depuis plus de dix ans. Rencontre.
Valérie Passello
05.02.2024, 08:50
05.02.2024, 09:00
Valérie Passello
«Le besoin de donner». Emma* répond du tac au tac lorsqu’on lui demande pourquoi elle a voulu devenir «famille d’accueil», comme on dit. «Je pense que c’est lié à mon enfance. Je suis issue d’une famille nombreuse et j’ai besoin d’avoir du monde autour de moi», explique-t-elle. Pour elle, donner, c’est gratuit. Et désintéressé aussi.
Voilà plus de dix ans que cette Valaisanne s'est lancée dans cette activité hors du commun, tournée vers autrui. La première fois, elle a opté pour un accueil à long terme. Une fille est restée dans son foyer pendant un an et demi.
Puis, lorsqu’elle est repartie, toute la famille en a souffert, raconte Emma : «Bien sûr, je n’ai pas le cœur froid, mais moi ça ne me fait rien, car j’ai une grande capacité de résilience liée à mon histoire personnelle. En plus j’adore ça.» Mais ses enfants et son compagnon ont trouvé que c’était trop dur. «Tout le monde s’était investi, on était comme une vraie famille et d’un coup, c’était fini. Ils m’ont tous dit : 'plus jamais'.»
Mais finalement, un compromis a été trouvé entre le désir d’Emma de poursuivre sa collaboration avec l’Office valaisan pour la protection de l’enfant et les réticences des autres membres de la famille, liées à la peur de trop s’attacher.
Assurant un accueil relais, Emma a d’abord reçu chez elle pendant les week-ends des enfants placés dans des foyers durant la semaine : «Pour eux, c’était une sorte d’échappatoire, comme de petites vacances», sourit-elle. Puis, elle a décidé d‘offrir un accueil d’urgence (voir encadré ci-dessous).
«Nous assistons parfois à des scènes difficiles»
En principe, un accueil d’urgence dure au maximum deux semaines et nécessite une grande disponibilité. «Pendant la nuit ou le week-end, c’est la police qui nous les amène. Sinon, on a un appel de la protection de l’enfant qui nous explique le contexte global. On peut accepter ou non. Puis, un assistant social dépose chez nous l’enfant ou la fratrie», détaille Emma. Plus d’une vingtaine d’ados ou d’enfants sont passés par là en une décennie.
Différents types d’accueil
temporaire (résolutif), le temps que les parents puissent assumer à nouveau la prise en charge de l’enfant
long terme (substitutif), lorsque les parents ne sont plus en mesure de s’occuper de leur enfant durablement
relais, soit en soutien des parents ou comme complément à un placement en institution (par exemple les week-ends et vacances)
Mais Emma a-t-elle déjà refusé d’ouvrir sa porte ? «Oui, c’est arrivé une fois, répond-elle. C’était un ado de 17 ans qui sortait de prison. Je n’en savais pas davantage sur son histoire et mon compagnon n’était pas à la maison ce jour-là. Alors j’ai renoncé.»
Savoir reconnaître ses limites est sans doute une qualité pour tenir le rôle de famille d’accueil. Et d’autres sont nécessaires, estime l’intéressée : «Il ne faut pas se positionner en sauveur, ne jamais juger ni l’enfant ni ses parents et ne rien espérer en retour.»
Les enfants qui séjournent chez Emma ont des histoires difficiles. «Ce sont toujours des écorchés de la vie, évidemment il y a des soucis, explique la Valaisanne. Nous assistons parfois à des scènes difficiles, comme lorsque l’on voit un enfant couvert de bleus, par exemple. Mais il faut faire abstraction et ne faire aucun commentaire. Plein de fois, on fait le poing dans la poche. Rester neutre n’est pas donné à tout le monde.»
Une bulle et un cadre
Et le but n’est pas de s’attarder sur les problèmes, en effet, mais d’offrir du répit aux enfants accueillis. «On leur accorde tout notre temps. Ici, ils sont dans une bulle. Ils sont protégés et peuvent se reposer, ils n’ont besoin de penser à rien.» Et c’est la vie qui prend le dessus, simple, naturelle. Chez Emma, on cuisine ensemble, on joue, on part se balader dans la nature, comme dans une famille «normale».
Et comme dans toute famille, il y a aussi des règles à respecter. «En général, les trois premiers jours, ce sont des enfants incroyables. Et puis après, le naturel reprend le dessus. C’est là qu’on commence à voir les problèmes», relève Emma.
Un enfant refuse de boire de l’eau ou du sirop artisanal? Il en a le droit. Mais il n’aura rien d’autre, car les règles de la maisonnée sont ainsi. La mère de famille est une femme de caractère : «Ils finissent par comprendre que je ne bluffe pas, il y a des barrières à tenir. Parfois ça prend du temps, mais c’est comme ça.»
Pour Emma, le dialogue est aussi l’une des pierres angulaires d’un accueil réussi. Et s’il n’est pas toujours évident à instaurer, notamment avec des enfants allophones, les liens finissent toujours par se nouer. «Nous avons souvent des jeunes d’origine étrangère, alors on parle de leur pays, on cuisine des spécialités de chez eux… en fait ça m’ouvre l’esprit sur beaucoup de choses et j’apprends énormément», témoigne-t-elle.
«Quand on lui a annoncé, elle n’y a pas cru!»
Au final, Emma espère avoir apporté «une étincelle qui leur servira peut-être plus tard» aux enfants qu’elle a accueillis chez elle. «Et si ce n’est pas le cas, tant pis», dit en haussant les épaules celle qui ne manque jamais d’écrire un petit mot à ses hôtes éphémères au jour de leur anniversaire ou à Noël.
Et comme l’existence réserve aussi son lot de surprises et de belles histoires, la famille s’apprête à vivre une aventure nouvelle.
Le contact était particulièrement bien passé avec l’une de ses petites protégées. L’adolescente a été placée en foyer, mais Emma a demandé une garde partagée avec l’institution, ce qui lui a été accordé. Finalement, la jeune fille viendra vivre à la maison à plein temps.
Dans son téléphone, Emma garde précieusement une vidéo du jour où l’adolescente a appris la nouvelle. L’explosion de joie de cette dernière fait plaisir à voir : «Quand on lui a annoncé, elle n’y a pas cru!», se remémore la mère de famille en souriant. Mais même si l’heure est à la liesse, Emma et son compagnon reposent immédiatement le cadre: «Bien sûr, il y aura toujours les mêmes règles», les entend-on rappeler dans la vidéo.
Familles d'accueil d'urgence recherchées
À l'heure actuelle, seules deux familles assurent un accueil d'urgence pour les enfants et ados dans le Valais romand. Celles qui pourraient être intéressées à se lancer dans cette aventure, à l'instar d'Emma*, obtiendront tous les renseignements nécessaires auprès des membres du Secteur Familles d'accueil de l'Office pour la protection de l'enfant. Plus l'offre sera étendue, plus il sera possible de placer les enfants dans des familles dont le profil correspond à leur besoins. Quel que soit le type d'accueil choisi par la famille, une formation obligatoire est requise, ainsi qu'une formation continue. Des rencontres mensuelles thématiques sont aussi proposées. L'activité n'est pas rémunérée, mais défrayée. Au total, 121 familles d'accueil sont actives dans le Valais romand. 78 d'entre elles accueillent des enfants qu'elles ne connaissent pas, 43 font partie de l'entourage des enfants concernés. Selon les chiffres établis à la fin 2023, 175 enfants étaient pris en charge, tous types d'accueil confondus. Ces deux dernières années, le nombre de demandes de placement dans des familles d'accueil est resté relativement stable (86 demandes en 2023, pour 55 accueillis, 89 demandes en 2022, pour 60 accueillis). À noter que la demande s'est tassée durant la période du Covid.
* Prénom d'emprunt: d'entente avec la personne concernée, la rédaction a choisi d'anonymiser ce témoignage, afin de préserver la sphère privée des enfants dont il est question dans cet article.