Génocide rwandais Génocide rwandais: 14 ans de réclusion pour un ancien chauffeur

ATS

16.12.2021 - 23:09

Le Franco-Rwandais Claude Muhayimana, ancien chauffeur à Kibuye, dans l'ouest du Rwanda, a été condamné jeudi par la cour d'assises de Paris à 14 ans de réclusion criminelle pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité pour son rôle en 1994 lors de l'extermination des Tutsi du Rwanda.

Photos de victimes dans le mémorial du génocide dans la capital du Rwanda. 
Photos de victimes dans le mémorial du génocide dans la capital du Rwanda. 
KEYSTONE/AP Photo/Ben Curtis

Keystone-SDA

Quinze années de réclusion avaient été requises mercredi contre cet homme «ordinaire» de 60 ans, accusé d'avoir transporté des gendarmes et des miliciens Interahamwe, bras armé du régime génocidaire hutu, sur des lieux de massacre de Tutsi entre avril et juillet 1994 à Kibuye et les collines avoisinantes, où des dizaines de milliers de personnes ont été tuées.

Les avocats de la défense ont annoncé à la sortie de l'audience qu'ils allaient faire appel. Debout, impassible, les mains croisées dans le dos, Claude Muhayimana a écouté les réponses aux 100 questions posées à la cour, qui a délibéré près de 10 heures.

Il a été reconnu coupable à la majorité des voix de complicité de génocide et de complicité de crimes contre l'humanité dans les collines de Karongi, Gitwa et Bisesero sur la période du 7 avril jusqu'à fin juin, et de complicité de crimes contre l'humanité en juillet dans les collines de Bisesero.

Naturalisé français depuis 2010

Les jurés l'ont absous de ces chefs sur certains des lieux sur lesquels il était accusé d'avoir transporté les tueurs. «M. Muhayimana, je comprends que cette décision soit difficile, la cour et le jury ont essayé d'entendre tout ce qui a été dit», lui a dit le président Jean-Marc Lavergne après l'annonce du verdict.

Le condamné, cantonnier à Rouen (nord ouest) et naturalisé français depuis 2010, a enfilé sa veste de cuir, échangé avec ses avocats qui l'ont réconforté, avant d'être menotté sur place et emmené par des policiers. Jusqu'à la dernière minute de son procès, l'accusé, qui comparaissait depuis le 22 novembre, est resté impénétrable, sans jamais vraiment rien livrer de sa personnalité ou de ses émotions.

«Je voudrais que vous essayiez de vous mettre à ma place en 1994, ce que j'ai fait pour sauver des gens. Je vous remercie», a-t-il simplement déclaré d'une voix égale jeudi matin, avant les délibérations.

Lors de longues audiences, parfois laborieuses car souvent traduites du kinyarwanda, des dizaines de témoins ont été entendus. Des rescapés venus à Paris raconter l'horreur du génocide et des ex-tueurs condamnés, interrogés en visioconférence depuis le Rwanda, ont affirmé avoir vu l'accusé transporter ces miliciens, chantant «Exterminons-les» en brandissant leurs machettes.

«Au service des génocidaires»

L'accusé a été un «acteur du génocide» et un «rouage indispensable» a lancé le parquet national antiterroriste (Pnat) qui porte l'accusation dans les procès pour terrorisme et crimes contre l'humanité. C'est un «homme opportuniste qui s'adapte à des circonstances chaotiques, il s'est adapté au génocide en se mettant au service des génocidaires», a-t-il asséné.

La défense, pour sa part, a insisté sur «la faiblesse, le manque de crédibilité» des témoignages et l'absence d'éléments matériels. «Dans ce dossier, je cherche toujours la preuve», a déclaré Me Françoise Mathe. «L'immense majorité des témoins de l'accusation sont des personnes condamnées», a fait valoir son confrère Me Philippe Meilhac, se disant convaincu de l'innocence de l'accusé.

La défense a souligné que Claude Muhayimana, d'origine hutu et alors marié à une femme tutsi, avait sauvé des Tutsi, les cachant chez lui et aidant certains à s'enfuir en pirogue sur le lac Kivu, vers le Zaïre, ce qu'ont attesté la plupart des témoins au procès. Mais les débats n'ont pas permis de lever le voile sur l'accusé.

«Je ne sais pas qui il est, ça fait presque peur, je n'arrive pas à percer qui est cet homme. Il ne me paraît pas avoir conscience de ce qui s'est passé», a déclaré à l'AFP Providence Rwayitare, 43 ans, rescapée du génocide et ancienne voisine de M. Muhayimana.

Condamnation symbolique

«Il n'a pas saisi l'occasion de dire la vérité pendant ces semaines du procès», a regretté le président d'Ibuka France (une association de rescapés), Etienne Nsanzimana, qui a salué «le symbole fort» de sa condamnation.

«Sa condamnation ne me fait pas plaisir, simplement justice est rendue», a de son côté déclaré Alain Gauthier, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association qui traque les génocidaires et est à l'origine de la procédure contre M. Muhayimana.

Le procès de Claude Muhayimana est le troisième en France lié au génocide des Tutsi mais c'est la première fois qu'un citoyen «ordinaire» est jugé. Les deux autres avaient concerné un ex-capitaine de l'armée et deux bourgmestres rwandais.