LittératureGouzel Iakhina emporte le lecteur dans son «Convoi pour Samarcande»
nt, ats
31.8.2023 - 09:57
Phénomène de la jeune littérature russe, Gouzel Iakhina sera présente au Livre sur les quais à Morges (VD) de vendredi à dimanche. Elle y évoquera son troisième roman «Convoi pour Samarcande», paru en français le 24 août. L'auteure souligne l'importance de maintenir des liens culturels et humains entre la Russie et l'Europe.
nt, ats
31.08.2023, 09:57
31.08.2023, 10:11
ATS
Gouzel Iakhina, 46 ans, est née à Kazan au Tatarstan. Elle a étudié l'anglais et l'allemand, avant de suivre une école de cinéma à Moscou, se spécialisant dans l'écriture de scénarios. Elle partage actuellement sa vie entre la capitale russe et Almaty au Kazakhstan.
L'écrivaine a publié «trois romans qui traitent de l'Histoire avec un grand H, au travers du destin de petites gens. Ils se déroulent tous dans les années et décennies suivant la Révolution de 1917», explique-t-elle dans un entretien accordé à Keystone-ATS.
«La guerre civile, les déplacements de populations, la famine, la dékoulakisation (expropriation forcée des paysans): il est important d'aborder ces événements du début du 20e siècle, trous noirs dans la mémoire collective, qui ont coûté des millions de vies humaines. Ces traumatismes, qui font partie de l'histoire de tant de familles, ont pour la plupart été passés sous silence», poursuit l'auteure.
Si elle décrit la réalité historique très précisément dans son oeuvre, elle y mêle différents destins, «tels de petites briques construisant l'histoire du pays».
Bouleversements
Son premier roman, paru en 2015, «Zouleïkha ouvre les yeux» est inspiré de la vie de sa grand-mère. Immédiatement devenu un best-seller en Russie, il a été plébiscité dans le monde entier et traduit en 34 langues. Il retrace les dures conditions de vie des paysans tatars et leur déportation massive perpétrée par Staline au début des années 1930. «C'est aussi le destin d'une femme qui apprend à être libre dans un espace de non-liberté, le goulag», glisse-t-elle.
Le second, «Les Enfants de la Volga», s'intéresse aux Allemands de Russie, dont le quotidien et les habitudes sont bouleversés par l'instauration du régime soviétique. Réfugié dans une ferme isolée, son héros essaie d'échapper au temps et au processus historique. Il s'isole physiquement et mentalement, à l'instar peut-être de toute une génération de Soviétiques qui a dû s'enfermer dans le silence.
Enfants affamés
Le troisième, «Convoi pour Samarcande», se penche sur la famine destructrice qui a suivi la révolution bolchévique au début des années 20, tout spécialement sur les bords de la Volga. A travers ce sujet «insupportable pour une psyché humaine normale et saine», Gouzel Iakhina a voulu combler une lacune, «ce thème n'ayant jusqu'ici pas fait couler beaucoup d'encre».
Paru en français aux Editions Noir sur Blanc, le livre met en scène un officier de l'Armée rouge qui prend en charge un train avec 500 enfants des rues à son bord. Le convoi doit être acheminé sur des milliers de kilomètres de Kazan à Samarcande, terre d'abondance épargnée par la famine.
Double visage
Au cours de ce périple, Deïev et ses passagers rencontrent des femmes et des hommes, héros du quotidien, bandits, fonctionnaires au double visage. Le sauvetage des enfants – l'objectif suprême – rapprochera des ennemis de classe irréconciliables. L'humanité vaincra.
«C'est cette génération d'individus, qui pouvaient être à la fois sauveurs et meurtriers, qui a construit l'Union soviétique», souligne l'auteure. Deïev en est l'incarnation, se démenant pour sauver les enfants, alors qu'en filigrane, le lecteur se rend compte qu'il a été bourreau de leurs parents.
«Ces personnes se comptaient par millions. Ne pas savoir si les gens étaient noirs ou blancs a été l'un des secrets de la vigueur du pouvoir soviétique», estime l'écrivaine, dont les romans ont été accueillis diversement en Russie.
Plusieurs genres littéraires
Quant aux enfants, «je voulais en parler sans tomber dans la pitié, évoquer cette tragédie, mais de manière captivante», relève-t-elle. Le récit au langage très cinématographique mêle ainsi plusieurs genres, de l'aventure à la fable, en passant par le conte, le récit biblique et le road movie.
«Mais le fond historique est vrai: les enfants, ça a existé, les convois, également. La description de personnes affamées, ce que cela entraîne dans le cerveau comme délires, les recettes à base de sousliks (rongeurs), herbes, argile, paille, corbeaux, chiens, les dépôts de butin collectés dans les villages... tout est véridique».
Garder les liens
La romancière se réjouit de voyager et participer à divers événements littéraires en Europe. Outre le Livre sur les quais, elle sera aussi présente à la Fondation Michalski le 5 septembre à Montricher (VD).
«Depuis février 2022 et la rupture des relations politiques et commerciales, il est primordial de garder des liens culturels et humains», estime-t-elle. «Les lecteurs se montrent intéressés, attentifs, c'est capital».
«Le pire pour moi est une sorte d'isolement de la Russie. Un nouveau rideau de fer s'est déjà passablement abaissé. Mais il ne devrait pas totalement se fermer», espère Gouzel Iakhina.