Affaire Grégory «Il y avait beaucoup d'ingrédients explosifs dans ce couple»

AFP

16.10.2024

«J'y pense mais elle ne me hante pas.» Eric Darcourt-Lézat n'est pas «un spécialiste du fait divers» lorsqu'il couvre pour l'AFP la mort d'un «enfant de 4 ans» repêché dans la Vologne (Vosges). Mais 40 ans plus tard, il n'oublie rien de cette histoire «abominable», «l'affaire du petit Grégory».

Il y a 40 ans, la mort du «petit Grégory» : pourquoi cette affaire fascine autant

Il y a 40 ans, la mort du «petit Grégory» : pourquoi cette affaire fascine autant

Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin a été retrouvé, pieds et poings liés dans la Vologne, une rivière des Vosges. Depuis 40 ans, l'affaire du «petit Grégory» passionne la France.

14.10.2024

AFP

En 1984, la principale actualité de l'ancien journaliste de l'Agence France-Presse, alors détaché à la rédaction de Metz, «c'était de suivre les conflits de la sidérurgie et des houillères», raconte Eric Darcourt-Lézat, 74 ans.

«Et ce fait divers est arrivé», dit-il laconique. Ce fait divers c'est l'"affaire du petit Grégory", qu'il a surnommée ainsi et qui restera à jamais l'expression consacrée pour évoquer la mort du petit garçon de la famille Villemin.

«Un enfant de quatre ans, dont les pieds et les mains étaient ligotés, a été retrouvé mort dans la Vologne, non loin de Docelles (Vosges), mardi vers 21H30, sur l'indication d'un coup de téléphone anonyme, apprend-on auprès de la gendarmerie de Bruyères», écrit-il au soir du 16 octobre 1984. En 228 mots, le décor est planté: «Les gendarmes n'exclu(ent) pas, mardi soir, l'hypothèse d'une vengeance familiale».

«Le lendemain, je me suis rendu sur place», raconte sobrement Eric Darcourt-Lézat, qui en arrivant parmi les premiers, «découvre une famille totalement effondrée».

«Assaillis à domicile»

La France entière découvre alors le «joli petit portrait d'enfant souriant» et les conditions de son meurtre. «Un enfant qui a été ficelé, jeté à la rivière... C'est abominable!», relève l'agencier.

A Lépanges-sur-Vologne, «petit village paisible qui s'étire au fond d'une vallée tapissée de prairies et qui compte un millier d'habitants, la colère gronde» et «la nausée le dispute à la colère», dicte à l'époque le reporter à la sténographe de l'agence de presse, depuis une cabine téléphonique ou chez l'habitant.

A l'horreur se mêle aussi la férocité: un ou des corbeaux sévissent depuis près de trois ans, plongeant la famille Villemin dans une angoisse permanente. Le soir du drame c'est d'ailleurs par un appel anonyme que la gendarmerie est alertée: «Je me suis vengé. J'ai pris le fils du Chef (surnom donné à Jean-Marie Villemin, Ndlr), je l'ai mis dans la Vologne».

Un meurtre sordide, des corbeaux et la piste d'"une vengeance": il n'en faudra pas plus pour qu'en quelques heures, «presse parisienne, presse spécialisée sur les enquêtes de faits divers, presse générale, télés» et «de nombreux organes de presse et télévisions étrangères» déferlent à Lépanges-sur-Vologne, se souvient Eric Darcourt-Lézat.

«Tout le monde est assailli et à domicile. Les gens, on va les voir, on leur demande ce qu'ils pensent. Est-ce qu'ils ont une hypothèse ? Est-ce qu'ils connaissent la famille ? Qu'est-ce qu'ils ont à en dire ?»

S'ouvre alors «une espèce de mine à ciel ouvert d'attaques ad hominem, de rumeurs inter familiales ou de voisinages, etc. qui nourrissent une certaine presse pas toujours très regardante et qui, assez souvent, déborde largement l'enquête par les hypothèses ou les soupçons adressés à l'endroit de tel ou tel», se souvient-il, avec une pointe d'amertume.

Jusque dans l'"intimité"

Les journalistes «arrivaient au domicile de telle ou telle personne, ils s'installaient et ils rentraient très vite dans leur quotidien familial, et souvent dans l'intimité, sans beaucoup de précaution», confie Eric Darcourt-Lézat, encore affligé par une certaine «arrogance».

A la fin des auditions à domicile, quand les gendarmes repartent «les journalistes vont interroger (à leur tour) les gens pour savoir ce qu'on leur a demandé, ce qu'ils ont dit, etc.».

La tension atteint son paroxysme aux funérailles de l'enfant: «Une brève altercation se produit entre des membres de la famille et certains photographes et cameramen», rapporte l'AFP.

De fil en aiguille, les enquêteurs pointent un responsable, confondu par «un témoignage capital et un résultat d'expertise» graphologique réalisée en Allemagne fédérale.

Bernard Laroche, cousin germain de Jean-Marie Villemin et employé au tissage, est désigné. Il est inculpé -soit mis en examen, selon les termes juridiques actuels- et écroué en novembre 1984. Il est libéré trois mois plus tard, faute de preuves probantes et après le revirement de la principale témoin, et finalement tué en mars 1985 par son cousin, Jean-Marie Villemin, poussé à bout par le tumulte ambiant.

A la même époque, la presse, nourrie par les déclarations du jeune juge Jean-Michel Lambert, finit par «fabriquer l'info (...) pour mieux la vendre et en vendre le plus possible», soupire Eric Darcourt-Lézat. Certains journalistes, alors animés par «un fond de misogynie», embrassent ainsi l'idée que «si c'était la mère, ce serait encore plus vendable comme affaire».

«Moi je n'étais pas un spécialiste du fait divers. Et quand il y a eu cette campagne contre (elle), je me suis dit: +Comment je vais m'en sortir ?+, parce que je refusais de relayer tout ça», confie l'agencier. Alors il va «la voir pour faire sa première interview. C'était une manière à la fois de dire quel était le halo de rumeurs qu'il y avait autour de cette femme et de lui donner l'occasion de manière argumentée d'y répondre».

«Une force amoureuse»

En juillet 1985, Christine Villemin sera à son tour inculpée d'assassinat et écrouée pendant 11 jours. Un non-lieu sera prononcé en février 1993. Son époux, Jean-Marie est lui aussi condamné à cinq ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, pour le meurtre de Bernard Laroche.

Deux parents, un couple, où chacun dévasté par la mort de leur fils unique se retrouve éloigné l'un de l'autre, emprisonné. «Il y avait beaucoup d'ingrédients explosifs dans ce couple», relève Eric Darcourt-Lézat, qui a eu «l'occasion de les revoir». Qu'importe. «C'est un couple qui a eu la force, sans doute une force amoureuse de se reconstituer», analyse-t-il avec tendresse.

«Ils ont réussi non seulement à tenir le choc mais même à se renforcer puisque, par la suite, ils ont eu trois enfants qui ont fait, d'après ce que je sais, de beaux parcours d'études», précise-t-il. «Leur famille a continué, leur couple a continué.»

Et le journaliste de l'AFP, imprégné des «crimes et passions» dans les Vosges ? «Avec le temps, j'oublie les noms, j'oublie beaucoup les chiffres... Mais par contre, ce que les gens ont pu me dire, ou ce que j'ai pu leur dire, ça c'est des choses qui restent intactes dans mon esprit. Même les images».