Expert psychiatre dans l'affaire RupperswilJosef Sachs: «Tout le monde porte en soi cette propension à la violence»
Par Silvana Guanziroli
3.5.2019
Il a affaire aux pires crimes. L'expert psychiatre judiciaire Josef Sachs examine le psychisme des meurtriers et des grands criminels. Interrogé par «Bluewin», il explique pourquoi malgré tout, il n’est pas favorable à l’internement à vie.
Les affaires dont il est en charge suscitent l’émoi en Suisse. Les crimes sont sanglants, brutaux et hors norme. Les faits sont souvent difficiles à supporter, même pour des policiers endurcis. Pour Josef Sachs, un expert psychiatre judiciaire argovien, ce n’est que la routine quotidienne. L’affaire la plus grave que Josef Sachs a dû traiter jusqu’à présent est celle du quadruple meurtre de Rupperswil (canton d’Argovie). En tant qu’un des deux experts en charge de l’affaire, il a abordé cette question: est-ce qu’un trouble mental avait poussé l’auteur des faits à passer à l’acte? Et si oui, était-il traitable?
«Bluewin» a rencontré l'expert psychiatre judiciaire dans son cabinet à Brugg, dans le canton d’Argovie. L’ancien directeur de la clinique de psychiatrie médico-légale des services psychiatriques d’Argovie n’envisage pas de lever le pied, même après sa retraite. «Pour moi, mon travail est plus une vocation qu’un emploi», confie-t-il.
M. Sachs, vos expertises fournissent aux juges la base pour déterminer si un criminel doit être interné ou non. Pour cela, vous devez vous confronter à lui de manière intensive. Arrivez-vous vraiment à entrer dans sa tête?
Malheureusement, on ne peut pas poser un stéthoscope sur la tête d’un individu pour comprendre comment il fonctionne. Ce n’est pas aussi facile. Mais il y a des indices indirects qui montrent ce qui se passe dans sa tête. Pour cela, j’analyse son histoire, son comportement, ses propos et la façon dont il les formule.
De ce fait, si un criminel est malin et connaît les rouages, peut-il berner les experts?
Oui, dans des entretiens pris individuellement, c’est possible. Plus l’individu faisant l’objet d’une expertise est intelligent, habile et communicatif, plus il y parvient. Néanmoins, personne ne peut faire durer cette supercherie pendant longtemps, personne ne peut jouer constamment la comédie. Pour porter un jugement, j’obtiens donc des renseignements de la part de tiers pour savoir comment l’individu agit en dehors de l’entretien et comment il s’est comporté auparavant.
Vous avez rédigé des expertises dans des affaires très difficiles et délicates. C’est une énorme responsabilité. Comment gère-t-on cela en tant qu'expert psychiatre judiciaire?
Avec modestie. Le plus grand danger que je vois ici pour un expert psychiatre consiste à s’emporter et à se livrer à des déclarations que l’on ne peut étayer et qui vont au-delà de ses propres possibilités de compréhension. Il y a des situations où les juges tentent de rejeter sur le psychiatre les décisions qui leur sont difficiles. Mais je ne peux pas décider à la place d’un juge s’il doit faire interner l’individu. Je ne peux que porter un jugement sur le risque de récidive.
Cette répartition des tâches doit être parfaitement respectée. Si les choses sont confuses et si on va au-delà de ses propres responsabilités, alors cela devient dangereux et on passe des nuits blanches.
Vous avez été un des deux experts en charge de l’affaire de Rupperswil. Ce quadruple meurtre a suscité l’émoi dans toute la Suisse. Comment vous sentiez-vous?
L’affaire est unique dans sa brutalité et sa complexité. En fait, je n’ai pas connu de second crime de cette ampleur au cours de ma carrière. Les attentes vis-à-vis de l’expertise étaient très élevées, je l’ai énormément ressenti. Il y avait aussi un second expert. Là, bien sûr, on se demande toujours si cette personne arrive au même résultat.
Un second expert? C’est plutôt inhabituel.
Une fois qu’il est question d’un internement à vie, comme c’était le cas ici, deux expertises indépendantes sont demandées. C’est ce que la loi exige. Mais dans les faits, c’est très rare. Les experts psychiatres n’ont pas le droit de se concerter. C’était très spécial parce que je connais personnellement l’autre psychiatre expert. Nous n’avions pas le droit d’échanger le moindre mot au sujet de l’affaire. A ce jour, je n’ai pas lu son expertise.
La situation s’est également avérée difficile après la révélation de l’expertise. Des insultes et des menaces ont été proférées, en raison de ma conclusion, selon laquelle une amendabilité ne pouvait alors pas être exclue pour l’auteur des faits. Je conçois toutefois pourquoi on peut ne pas comprendre cela.
Entre autres éléments, cette expertise a permis au juge de se prononcer en défaveur de l’internement à vie de T. N. L’article de loi qui s’y rapporte est en vigueur depuis 2004 suite à l’adoption d’une initiative populaire. Qu’en pensez-vous?
L’internement à vie est selon moi complètement inapproprié. Je suis convaincu que cela a été accepté par les électeurs parce que les gens reliaient l’internement au crime. L’opinion était qu’un individu qui commettait un crime d’une telle gravité perdait son droit à la liberté. Mais ce n’est pas ce qui est inscrit dans la loi. Ici, c’est l’internement à vie qui fait l’objet d’un pronostic. Il est impossible d’établir un pronostic sur plusieurs décennies – en effet, il s’agit souvent de criminels plutôt jeunes. Ici, il manque tout bonnement la méthode. Nous n’avons pas de boule de cristal qui nous montre comment l’individu se comportera dans 30 ou 40 ans. C’est la réalité.
Est-ce pour cela que vous n’excluez pas une amendabilité dans le cas de T. N.?
Oui, exactement. A cela s’ajoute le fait que le trouble de la personnalité détecté chez lui est fondamentalement traitable. Dans de tels cas, l’amendabilité ne peut être exclue si on n’a jamais essayé de traitement.
Dans quel type d’affaires êtes-vous heureux de ne pas devoir intervenir en tant qu’expert?
Toutes les affaires où les victimes sont des enfants sont graves. Je n’aurais certainement pas voulu porter mon jugement dans l’affaire Dutroux en Belgique. L’affaire était compliquée parce que son épouse était impliquée dans les crimes.
Il est également difficile de porter un jugement si l’accusé n’est pas passé aux aveux. Comme dans l’affaire Ignaz Walker dans le canton d’Uri. Dans une telle affaire, il n’est pas possible de discuter du crime. L’expert psychiatre n’a donc aucun moyen de reconstruire le processus.
Combien de temps dure une telle expertise?
Une expertise complète et complexe demande environ six mois. Ce sont beaucoup de processus différents qui fonctionnent ici en parallèle. J’étudie les dossiers, je demande les rapports de traitement existants, je m’entretiens avec la famille proche et l’entourage plus large de l’individu. Pour l’affaire de Rupperswil, il m’a fallu une bonne centaine d’heures.
Peut-on déterminer le nombre de grands criminels qui souffrent d’un trouble?
Si l’on examine la population carcérale, il existe un pourcentage élevé de troubles de la personnalité, de l’ordre d’environ 50% des détenus selon des études. Les troubles psychiques très graves, tels que la schizophrénie, sont nettement moins fréquents, naturellement.
Quelles sont les maladies les plus courantes?
Il y a justement les troubles de la personnalité, mais aussi les dépendances et le TDAH (Trouble du Déficit de l´Attention avec ou sans Hyperactivité, ndlr).
Au cours de votre carrière, avez-vous eu également affaire à des tueurs qui ne souffraient d’aucun trouble et qui ont agi en pleine connaissance de cause?
Oui, il y en a eu. C’était le cas par exemple d’un jeune homme d’un peu plus de 18 ans qui a tué son père. La famille était d’origine turque et le père voulait que sa fille épouse un certain homme. Elle en a choisi un autre, après quoi le père a ordonné à son fils de tuer l’ami de sa fille. Il n’a pas voulu le faire. Il n’a pas trouvé d’autre solution que de tuer son père.
Comment l’idée de tuer devient-elle possible pour des gens?
En psychiatrie médico-légale, nous distinguons deux formes de violence. La violence réactive renvoie à des individus qui tuent sous le coup de l’émotion, qui réagissent de façon spontanée et non programmée à une situation. La violence instrumentale renvoie à des individus qui tuent intentionnellement, délibérément et de sang-froid. Généralement, le criminel s’imagine depuis longtemps son mode opératoire. Lorsque l’on réfléchit souvent à quelque chose, la barrière tombe et le caractère épouvantable du crime se dissipe.
Les criminels banalisent-ils leur crime presque d’eux-mêmes?
Oui. Un acte de violence qui a déjà été pensé mille fois ne semble plus aussi grave qu’un crime qu’on imagine pour la première fois.
Il y a le sadique. Il s’agit là d’un individu qui se délecte devant la souffrance d’autres personnes. Mais je ne dirais pas que cet individu est méchant. Pour ce terme, vous devez interroger un théologien. C’est un autre concept. Mais si par méchanceté, vous entendez la propension d’un individu à la violence, alors je dois dire que nous l’avons tous en nous. La majorité est simplement capable de la garder sous contrôle. Si nous avions un autre cadre social en Suisse, alors je peux bien imaginer qu’ici aussi, il y aurait plus de propension à la violence. La violence est quelque chose d’inhérent à l’homme, sa concrétisation dépend de l’environnement.
Avant de rencontrer un criminel, vous lisez les dossiers. Vous y voyez le déroulement exact du crime. Comment abordez-vous l’individu de façon impartiale?
Ceci est fortement lié à l’expérience et à la formation. Il faut apprendre ce genre de contact. Ce métier ne laisse pas de place aux jugements moraux. Les expertises doivent être effectuées avec la tête et non avec le cœur. Il s’agit de comprendre ce qui s’est passé. Néanmoins, cela me surprend toujours de voir à quel point les criminels violents peuvent être normaux lors d’une rencontre directe, même lorsque je ne m’y attendais pas suite à l’étude du dossier. Et ce, malgré mon expérience. C’est pourquoi il est important de ne pas se laisser guider par les émotions et la compassion, mais plutôt d’entrer dans un mode cognitif et intellectuel afin de pouvoir tout analyser correctement.
Avez-vous fait face à des situations dangereuses lors d’entretiens avec des criminels?
Pas en prison. Ceci est lié au fait que je suis protégé des détenus dangereux par une vitre ou que j’ai avec moi un téléavertisseur sur lequel je peux appuyer.
Dans ce cas, êtes-vous seul avec l’accusé dans la pièce?
Oui, il n’y a pas de gardiens présents. Une fois, néanmoins, j’ai testé par inadvertance la vitesse à laquelle ils entrent dans la pièce en cas d’urgence. J’ai involontairement appuyé sur le bouton du téléavertisseur. En quelques secondes, cinq ou six hommes costauds étaient dans la pièce. Ce n’était pas tout à fait justifié selon moi.
Vous dites que le cadre a une influence sur la propension à la violence. Quelle est l’importance de l’éducation transmise par les parents?
Le comportement d’un individu est en réalité profondément marqué par l’éducation. Vous devez imaginer les choses de cette façon: prenez un enfant de trois ans qui a fondamentalement une forte propension à la violence. Il griffe, il mord et il frappe quand il n’obtient pas quelque chose. Ensuite, jusqu’à la puberté cependant, l’enfant apprend à résoudre les conflits différemment. Si à ce moment-là, les parents n’apprennent pas à leur enfant qu’il doit parfois renoncer, attendre ou discuter de certaines choses, l’enfant demeure alors incapable de résoudre les conflits sans recourir à la violence. Dès le début de la puberté, l’enfant se laisse moins facilement influencer. Outre l’éducation, toutefois, le caractère joue également un rôle important. Les psychiatres parlent de résilience, de résistance psychique. Cette faculté permet aux enfants d’avoir beaucoup de succès et de devenir très sociables malgré une enfance catastrophique. A l’inverse, il y en a d’autres qui grandissent en étant très protégés et qui sont tout simplement incapables de se débrouiller.
En réalité, vous avez pris votre retraite il y a trois ans. Mais vous travaillez toujours à plein temps.
Pour moi, mon travail est plus une vocation qu’un emploi. C’est pourquoi je n’ai pas encore envie de lâcher prise aussi vite. Ce travail me plaît toujours énormément. C’est une partie relativement importante de moi-même, même si je m’adonne aussi à des passe-temps. On en a également besoin; autrement, il est difficile d’assimiler toutes les expériences.
Les criminels, les scènes de crime sanglantes. Vous avez exploré les bas-fonds de l’être humain. Croyez-vous toujours en la bonté de l’homme?
Oui, assurément. Beaucoup même. Cependant, je dois veiller à ne pas avoir seulement une mauvaise impression des gens. Souvent, je ne rencontre que ceux qui ont commis des crimes graves ou qui ont récidivé. Mais parfois, je vois aussi des gens dont le traitement a été très réussi. Cela montre que dans chaque personne, il y a comme un bon noyau. Et c’est ce qui compte pour moi.
La ville de Chicago à nouveau gangrénée par la criminalité
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