Détenus violents «J'accepte mes pensées et de tuer les gens» - Reportage glaçant en prison

AFP

24.6.2024

«Yannis parle peu. Il se montre correct avec le personnel. Il tient sa cellule propre. Il lit beaucoup». Ce mercredi à l'Unité pour détenus violents (UDV) de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), c'est l'heure de l'évaluation.

A Fleury-Mérogis, la délicate prise en charge des «détenus violents».
A Fleury-Mérogis, la délicate prise en charge des «détenus violents».
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«Il a l'air d'être imprévisible», poursuit le surveillant, circonspect. «Je n'arrive pas à le mettre dans une catégorie. Donne-t-il juste le change ? Est-il sincère ?»

Autour de la table dressée dans une ancienne cellule aux murs jaunes, au quatrième étage d'une aile de la plus grande prison d'Europe, les trois conseillères pénitentiaires d'insertion et de probation hochent la tête, troublées.

Le débat s'engage. «On va faire quoi avec lui ? La seule chose qu'il dit c'est: +J'accepte mes pensées et de tuer les gens+», soupire Jessica, chargée de son suivi. «Je lui ai demandé: +Avez-vous déjà eu des pensées noires envers moi+ ? Il m'a répondu: +Non, pas encore+...»

«Je pense qu'il est animé d'une volonté de bien faire», nuance l'officier Manon Blosse, «il m'a demandé plein de fois: +Pensez-vous que je suis quelqu'un de bien+ ?»

Incarcéré pour des faits que l'AFP s'est engagée à ne pas révéler, Yannis (prénom modifié) 25 ans, a agressé deux codétenus avec une lame de rasoir dans la cour de promenade.

Il a été placé en urgence à l'UDV. Pendant six mois, lui et une poignée d'autres prisonniers considérés comme particulièrement agressifs y sont isolés et suivis sous sécurité renforcée.

Une équipe leur est dédiée: une directrice, 17 surveillants, 3 conseillères du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), une psychologue et des intervenants extérieurs.

Du sur-mesure dans une prison où un surveillant est habituellement en charge de plus de 200 détenus. L'objectif: tenter, à force d'entretiens et d'activités, de faire baisser leur niveau de violence avant de les réintégrer au milieu des autres prisonniers.

Ce dispositif a été conçu après deux attaques de surveillants en 2018 à Vendin-le-Veil (Pas-de-Calais) et Borgo (Corse). Une première UDV a été créée à Lille en 2019, dix autres ont ouvert depuis.

«Envie de progresser»

La réunion du jour vise à apprécier la situation de Yannis à mi-parcours de sa prise en charge. Dans trois mois, il doit regagner un quartier classique. «On travaille pour l'avenir, quand il sera habité de pulsions qu'il devra canaliser», résume l'officier.

Escorté de trois agents, Yannis entre dans la salle de réunion, mains menottées dans le dos. Son corps athlétique semble trop grand pour la chaise d'écolier sur laquelle il s'assoit, son sourire trop large pour la solennité du comité.

«Vous avez l'air apaisé», s'étonne sa conseillère, Jessica. «Apaisé, je ne sais pas, mais j'ai envie de progresser», lui répond Yannis, qui assure n'avoir «jamais fait de violences injustifiées sur quelqu'un».

- Qui est compétent pour dire si c'est justifié ? lui rétorque la directrice de l'unité, Marine Denarnaud.

- Ça dépend de chacun, décrète Yannis.

- Que pensez-vous des personnes destinataires de votre violence ? intervient Jessica.

- Ça fait de la peine...

- Vous avez appris à ressentir de la peine pour les victimes au cours des trois derniers mois ?

- Non, c'est à moi que ça fait de la peine. Aujourd'hui, je compte les jours, les gens...

Silence

Regards alarmés autour de lui. L'équipe s'interroge : qui sont ces gens ? D'autres cibles potentielles ? La directrice lui tend une perche. «On dirait qu'il y a des choses en vous qui ne veulent pas sortir. Pourquoi ne voulez-vous pas les dire ? Parce que c'est mal ?» Yannis cesse de sourire. «C'est quoi, le mal ? Donnez-moi un exemple. Je n'ai pas encore compris. Je pense que je me trompe». Silence.

A son arrivée dans l'unité, la sécurité déployée autour de Yannis était maximale. Les surveillants s'équipaient de tenues pare-coups et de boucliers chaque fois qu'ils ouvraient la porte de sa cellule.

Aujourd'hui, ces précautions ont disparu, mais les mains de Yannis restent attachées dans son dos. Il sort en promenade seul, dans une cour dotée d'une fenêtre exigüe et d'un triple grillage en guise de toit. Le but est de réduire progressivement ses entraves, jusqu'à son départ de l'UDV.

En parallèle, des ateliers lui sont proposés pour l'habituer à la présence des autres et décortiquer les ressorts de son comportement brutal: judo, gestion des émotions...

Chaque mois, l'équipe pénitentiaire révise les mesures de sécurité à lui imposer et son programme. Ce mercredi, Yannis surprend. «J'aime le yoga», lâche-t-il. «On ne parle pas trop et on fait ce qu'on a à faire». Fin de l'entretien, trois agents le ramènent en cellule.

«Jouir de voir souffrir»

Ses propos n'ont pas levé les doutes. «Je le sens vraiment dangereux. Il nous préserve du fond de sa pensée, mais il jouit de voir souffrir les gens», estime sa conseillère.

Yannis «pleure énormément en cellule», relève toutefois l'officier Blosse. Elle et ses collègues notent chaque jour ses conversations et son attitude. «Yannis n'a pas d'empathie, mais il a de vraies souffrances». Alors, quel régime lui prescrire ?

Côté sécurité, la directrice veut «l'encourager». «On va le passer du menottage arrière à l'avant, on va voir si ça libère sa parole».

Côté réinsertion, Yannis est réinscrit au yoga, il va commencer les jeux de société mais n'a pas obtenu de feu vert pour «l'ethno-art», une activité artistique visant à déconstruire des préjugés culturels. L'équipe juge qu'"il pourrait blesser" avec les outils.