Rescapé de Boutcha «J'ai vu des enfants et à côté, une personne sans tête»

AFP

21.10.2022

De la ligne de front en Ukraine où il a tiré sur des Russes, Gleb Gunko, un jeune Bélarusse de 18 ans est revenu avec des éclats d'obus dans les jambes, des cauchemars qui n'en finissent pas, ainsi qu'un diagnostic de trouble de stress post-traumatique, mais sans aucun regret.

Gleb Gunko, le 18 octobre 2022 à Warsaw, en Pologne.
Gleb Gunko, le 18 octobre 2022 à Warsaw, en Pologne.
Wojtek RADWANSKI / AFP

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«Je voulais rester mais le médecin a dit non (...) parce que j'étais mentalement agité», déclare-t-il en expliquant: «J'ai perdu beaucoup d'amis là-bas. Mon commandant aussi.»

«Avant la guerre, je pensais être en paix avec le fait que la mort est la mort et que tout le monde finit par mourir. Mais c'était trop», a-t-il confié à l'AFP qui l'a rencontré dans la ville polonaise de Grojec, où il a trouvé sa nouvelle maison.

Originaire de Minsk, ce jeune homme à voix douce, fait partie des nombreux Bélarusses qui, contrairement à leur dirigeant allié du Kremlin, ont choisi de se ranger du côté de l'Ukraine et de prendre les armes pour lutter pour la liberté.

Lorsque l'AFP s'est entretenue pour la première fois avec lui début mars, le jour de son départ pour la guerre, il a déclaré s'être porté volontaire afin de vouloir «se battre pour l'Ukraine mais aussi pour le Bélarus».

«Parce que notre liberté dépend aussi de la situation là-bas», avait-il dit.

M. Gunko, qui s'est fait tatouer les jointures avec des mots ‹Born free› (né libre), a quitté sa patrie en 2020 après que le président Alexandre Loukachenko a lancé une répression féroce contre les opposants à son pouvoir.

A la tête du pays depuis des décennies, le dirigeant bélarusse a été depuis condamné à l'international pour avoir soutenu l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Même s'il est opposé au régime de Minsk et à la guerre en Ukraine, M. Gunko dit se sentir responsable de ce qui se passe en tant que citoyen bélarusse.

«Je me sens coupable du fait que des missiles sont tirées sur Kiev depuis le Bélarus», déclare-t-il, «J'ai fait beaucoup pour que le Bélarus soit libre, mais pas assez». «J'aurais pu faire plus», ajoute-t-il encore à propos de son séjour de quatre mois en Ukraine.

Avant et après

M. Gunko est parti à la guerre par l'intermédiaire de la Fondation de la Maison bélarusse à Varsovie, une ONG qui œuvre pour les droits de l'homme et la démocratie dans ce pays.

Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, elle s'occupe de la logistique de l'envoi de combattants bélarusses volontaires en Ukraine.

«Les Bélarusses ne sont pas en mesure d'aider l'Ukraine (officiellement, ndlr) avec des armes, comme le fait le monde entier, mais ils ne peuvent pas rester à l'écart, alors ils vont se battre pour l'indépendance du pays frère», déclarait alors cette ONG sur Facebook.

Après son arrivée en Ukraine, Gunko a suivi une formation militaire de 15 jours. Il a ensuite combattu aux côtés d'autres volontaires internationaux à Kiev ainsi que dans les tranchées autour de Kherson.

Il dit avoir vu de nombreux civils morts dans la banlieue de Kiev, à Boutcha, où des centaines de corps ont été découverts après que l'armée russe en a été chassée en mars.

«Nous arrivions en voiture et j'ai vu des enfants à un arrêt de bus. (...) L'enfant fait signe, sourit et je vois que juste à côté, il y a une personne allongée, sans tête», se souvient M.Gunko.

«C'était dur», ajoute-t-il en soupirant, avant de résumer ce qu'il a vu à Boutcha en un seul mot: «terreur».

Il se souvient d'autres moments traumatisants, comme le fait de se faire tirer dessus pendant des heures depuis un véhicule de combat d'infanterie BMP-3, dont une explosion lui a laissé des morceaux d'éclats d'obus encore logés dans les jambes.

Il a également vu les troupes russes abattre un sniper britannique près de Kherson, un camarade à lui, et dont il a ensuite aidé à porter le corps.

Loin du champs de bataille, le jeune homme raconte les mois passés sur le front, assis dans un parc au sol jonché de châtaignes et de feuilles aux couleurs d'automne à Grojec, ville au sud de Varsovie où il mène une vie tranquille depuis son retour en juillet.

Une coupe en brosse, vêtu d'un uniforme de combat, il n'arrête pas à se frotter les mains et remuer les pieds, visiblement plus mince et plus contenu que lorsqu'il partait à la guerre.

«L'armée fait de vous une meilleure personne. J'ai changé, oui. Tout le monde le dit, explique-il, Je suis calme. Je réfléchis beaucoup».

Et d'ajouter: «C'est comme à la guerre. J'observe les gens, j'attends de voir ce qui va se passer, et je suppose que je m'attends à ce que ce soit mauvais.»