Ancien diplomate agressé«Je n'ai jamais vu autant de haine de la part de qui que ce soit»
AFP
5.6.2024
Lorsque Gia Japaridzé a commencé à recevoir des appels anonymes pour le menacer de l'assassiner, ce professeur d'université en Géorgie a compris que ses critiques du gouvernement étaient devenues dangereuses. Peu après, il a été passé à tabac.
AFP
05.06.2024, 07:54
Gregoire Galley
Cet ancien diplomate, engagé dans l'opposition, fait campagne contre la loi controversée sur l'"influence étrangère" portée par le gouvernement au nom de la «transparence» mais à l'origine d'un mouvement de protestation de masse, ses détracteurs craignant qu'elle ne serve à réprimer l'opposition à quelques mois des législatives d'octobre.
Quelques semaines avant l'adoption du texte, en pleine vague de manifestations, M. Japaridzé rentrait chez lui d'une réunion avec des ambassadeurs étrangers pour les exhorter à sanctionner le parti au pouvoir Rêve géorgien, quand des hommes l'ont attaqué peu avant minuit, juste devant son domicile dans la capitale Tbilissi.
«J'ai reçu des coups par derrière, des deux côtés. Ils ont commencé à me frapper avec de gros bâtons. J'étais persuadé à 100% qu'ils allaient me tuer», raconte-t-il, au sujet de son agression du 8 mai.
Et M. Japaridzé n'est pas le seul à avoir été victime de menaces ou de coups depuis avril. Ces militants, journalistes ou opposants imputent ces faits à Rêve géorgien, y voyant une campagne d'intimidation ciblée.
A cela s'ajoutent des accusations de violences policières pendant les manifestations contre la loi sur l'"influence étrangère", qui oblige les organisations non gouvernementales ou les médias recevant plus de 20% de leurs fonds de l'étranger à un contrôle administratif accru.
Le parti au pouvoir assure quant à lui que ce texte est destiné à permettre une transparence accrue sur le financement des médias et des ONG et accuse au contraire l'opposition d'exacerber les tensions et de chercher à «harceler» ses partisans.
Pour autant, au moins six personnalités ont été agressées ces dernières semaines, dont Levan Khabeïchvili, à la tête du principal parti d'opposition, le Mouvement national uni, qui a été sévèrement battu par la police au cours de rassemblements contre la nouvelle loi.
Le producteur de films Gouka Rtcheulichvili dit aussi avoir été battu par la police antiémeutes. «Cela a duré plusieurs minutes. S'ils en avaient eu l'ordre, je pense qu'ils m'auraient tué», raconte cet homme de 44 ans.
«Je n'ai jamais vu autant de haine de la part de qui que ce soit», témoigne-t-il, précisant que les policiers l'avaient traité d'"homosexuel" et de «traître» tout en le frappant.
Selon Gouro Imnadzé, un avocat au Centre de justice sociale, un groupe de défense des droits humains ayant son siège à Tbilissi, aucune poursuite n'a été engagée contre les auteurs présumés des agressions politiques.
«Auparavant, lorsqu'il y avait des actes de violence, le gouvernement prenait toujours ses distances. Aujourd'hui, il s'agit d'une violence assumée», affirme-t-il.
M. Japaridzé affirme pour sa part que la «situation est devenue hors de contrôle», y voyant une dérive similaire à celle que connaît la Russie. Le ministère géorgien de l'Intérieur, contacté par l'AFP, n'a pas répondu à une demande de commentaires mais il avait précédemment assuré qu'il n'y avait pas un problème de violences systémiques de la part des policiers.
Le ministre de la Justice, Rati Bregadzé, avait de son côté promis que tout cas de violence ferait l'objet d'une enquête, tout en laissant entendre que les manifestants avaient pu «se battre entre eux».
Pourtant, le chef des forces spéciales de la police, Zviad Kharazichvili, avait révélé fin mai disposer d'une «liste» de personnes à cibler pendant les manifestations.
Dans ce contexte, certains militants s'attendent à ce que les abus des forces de l'ordre contre des adversaires politiques se multiplient. «Cela devient maintenant plus systématique, plus régulier», relève l'avocat Gouro Imnadzé et, «ce que je crains, c'est que la situation ne s'aggrave encore».