Viols sur des enfants «Je veux qu'il sache qu'il m'a détruite» - Un scandale rejaillit

AFP

22.3.2024

Dans les années 90, de nombreuses familles maliennes sont relogées dans un immeuble social parisien géré par l'entreprise Sonacotra. Un ancien employé est accusé d'y avoir violé des enfants, et Hawa en parle pour la première fois à la presse.

Marcel H. a notamment été mis en examen à Paris en juillet 2022 pour viols sur mineurs de 15 ans (image d’illustration).
Marcel H. a notamment été mis en examen à Paris en juillet 2022 pour viols sur mineurs de 15 ans (image d’illustration).
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«Je parle pour que d'autres parlent à leur tour. Je suis sûre qu'il a fait d'autres victimes», explique à l'AFP la femme âgée de 39 ans, sous couvert d'anonymat, dans le cabinet de son avocat. Jusqu'ici, elle avait réservé son témoignage à la justice.

En 2022, la brigade des mineurs la contacte, lui disant enquêter sur un certain Marcel H., employé de Sonacotra (aujourd'hui rebaptisé Adoma) jusqu'en 2006. Une femme, que l'AFP n'a pu joindre, a déposé plainte en 2021 pour viols et a parlé aux policiers d'autres victimes, dont Hawa.

«Cet appel fait tout jaillir d'un coup», se souvient Hawa. Après «plusieurs semaines et nuits d'angoisse», elle décide de témoigner. «On a une espèce de soulagement quand on parle. C'est important qu'on soit venu me chercher».

Hawa espère à son tour «tendre la main» aux potentielles autres victimes, car la mère de famille est persuadée que Marcel H. «a sévi» ailleurs, l'homme ayant travaillé dans diverses résidences tenues par Sonacotra.

«Milieu conquis»

Marcel H. a été mis en examen à Paris en juillet 2022 pour viols sur mineurs de 15 ans, et aussi une tentative de viol, entre janvier 1992 et décembre 1996, a appris vendredi l'AFP de sources proches du dossier. Quatre victimes ont été identifiées, dont trois se sont constituées parties civiles. Il est actuellement placé sous contrôle judiciaire.

Sonacotra a été créée en 1956 par les pouvoirs publics pour résorber les bidonvilles et accueillir des travailleurs, notamment algériens. La structure s'est ensuite développée en créant des foyers partout en France.

Dans les années 90, Marcel H. «était chargé de récupérer le montant des loyers auprès des familles relogées dans un immeuble du 19e arrondissement de Paris voué à la démolition», selon une source policière. D'après Hawa, l'homme s'était rendu indispensable dans un contexte de grande précarité: aide aux devoirs, sorties au cinéma, nombreux cadeaux...

«Nos parents s'occupaient très bien de nous, je n'ai pas eu une enfance difficile», se rappelle Hawa, «mais dans les années 90 un homme qui donnait de son énergie et de son argent à des familles immigrées, on ne le soupçonnait absolument pas, il était en milieu conquis».

Pour son avocat, Me Seydi Ba, ce dossier révèle «des jeux de pouvoir». Le mis en cause, «prédateur en costume», «a ciblé ces enfants car ils avaient une double vulnérabilité du fait de leur âge mais aussi de leur origine. Leurs parents immigrés ne parlaient pas le français».

Sauf qu'aujourd'hui «le monde a changé», souligne Hawa. «Les victimes sont davantage prises en considération, les enfants davantage protégés, c'est le moment ou jamais de parler et ne pas laisser ce Monsieur sévir».

Dénégations

Quelle «responsabilité imputée à Sonacotra» ? soulève Me Ba. «Aujourd'hui, il y a toujours des familles précaires en difficulté. Adoma a-t-elle renforcé le contrôle de ses employés ?». Adoma n'a pas dans l'immédiat répondu aux sollicitations de l'AFP.

De son côté, Marcel H. «conteste farouchement», a réagi son avocat, Me Jérôme Goudard. «Sa famille et lui sont très atteints par ces accusations», a assuré son conseil.

D'après ses interrogatoires en juillet 2022, dont l'AFP a eu connaissance, Marcel H. a affirmé que «des femmes africaines lui faisaient des propositions» sexuelles, mais qu'il n'avait «jamais cédé». Il a estimé que les parties civiles avaient «monté un dossier» contre lui, avançant que «ces familles essayaient de profiter de tout».

Questionné sur son rapport à la pornographie, l'homme a déclaré ne pas en consommer. Un rapport d'exploitation des perquisitions, rendu en décembre 2023 et consulté par l'AFP, atteste pourtant de «3.800 photos à caractère pornographique» dans son téléphone, ainsi que de photos «d'un enfant nu» et «d'un sexe masculin» sur des clefs USB.

Les investigations se poursuivent, et Hawa souhaite être confrontée à celui qu'elle accuse. «Je veux le regarder droit dans les yeux et lui demander pourquoi il m'a fait ça. Je veux qu'il sache qu'il m'a détruite, mais pas totalement. Je veux qu'il me voie.»