Langue bretonne«J'en pleure de voir que c'est un monde qui disparaît»
AFP
11.4.2024
«Plus on l'affiche et moins on l'entend»: promue par les panneaux de signalisation et les manifestations culturelles, la langue bretonne perd chaque année un peu plus de locuteurs. Au risque de perdre son statut de langue vivante.
AFP
11.04.2024, 08:51
Gregoire Galley
«J'en pleure de voir que c'est un monde qui disparaît», se désole Rozenn Milin. La journaliste et historienne, ancienne directrice de TV Breizh, dit avoir «vu partir tous les vieux avec qui (elle) parlai(t) breton» dans sa commune de Landunvez, sur la côte Nord du Finistère. «Ça me bouleverse», lâche-t-elle.
Avec un peu plus de 200.000 locuteurs actifs (5,5% de la population bretonne), cette langue celtique, considérée comme «gravement menacée» par l'Unesco, pâtit en effet d'une pyramide des âges extrêmement défavorable: 79% des bretonnants ont plus de 60 ans, selon une étude de 2018 commandée par la région Bretagne.
Une population vieillissante qui se réduit naturellement au fil des ans, sans être remplacée par des jeunes locuteurs, trop peu nombreux. Moins de 10.000 bretonnants sont âgés de 15 à 40 ans, soit 0,87% de la population de la Bretagne historique (Loire-Atlantique comprise), selon les calculs d'Erwan Le Pipec, maître de conférences en breton à l'Université de Bretagne occidentale (UBO).
«Suicide linguistique»
Car cette langue d'usage populaire ne s'est jamais vraiment remise de la rupture linguistique du XXe siècle, qui lui a fait perdre 80% de ses locuteurs actifs.
«On a donné honte aux gens de ce qu'ils étaient», raconte Rozenn Milin, qui a consacré une partie de sa thèse à ce «suicide linguistique» motivé, selon elle, par la volonté de l’État français «d'éradiquer les langues régionales».
Cette «idéologie de la langue unique, née pendant la Terreur», s'est prolongée lors de l'instauration de l'école obligatoire, au sein de laquelle parler le breton était interdit, sous peine de punition, poursuit-elle.
En quelques décennies, les bretonnants ont abandonné leur langue maternelle, allant jusqu'à refuser de la parler à leurs enfants. «Quand on parlait breton à nos parents, ils répondaient en français», se souvient Mme Milin, âgée de 63 ans.
100 locuteurs par an
La création, en 1977, du réseau Diwan (enseignement immersif en breton) puis, en 1982, des filières bilingues à l'école primaire (publique et catholique) n'est pas parvenue à inverser la tendance.
En 2024, les près de 20.000 élèves scolarisés en breton ne représentent encore que 3,5% des effectifs de l'académie de Rennes. Dans leur immense majorité, ces élèves abandonnent l'apprentissage de la langue avant la fin de leur scolarité et perdent l'usage du breton.
Avec 4.000 élèves, le réseau Diwan n'ambitionne ainsi de ne former que... 100 locuteurs par an, selon une récente interview de son président Yann Uguen à Ouest-France.
«Il n'y a pas de quoi être optimiste», se désole Mme Milin. «Il faudrait des mesures très fortes pour inverser la tendance et je ne les vois pas poindre à l'horizon. Ce qui se fait aujourd'hui, c'est de la poudre aux yeux».
«Langue totem»
C'est la société civile qui est «devenue indifférente au breton» malgré un «soutien institutionnel très fort», estime Erwan Le Pipec, qui note que les formations d'enseignants bilingues ont du mal à recruter suffisamment de candidats.
«C'est paradoxal: c'est une langue qu'on affiche de plus en plus alors qu'on l'entend de moins en moins», résume le chercheur en sociolinguistique, qui prévoit qu'il ne restera que de 50.000 à 60.000 locuteurs en 2040.
«Le breton ne va pas disparaître car il y aura toujours un petit noyau de passionnés», estime-t-il. Mais «on est dans un état où ça n'est ni une langue morte, ni une langue vivante», ajoute-t-il. «Ce n'est pas une langue morte car elle est toujours parlée. Mais ce n'est pas tout à fait une langue vivante non plus parce qu'elle n'est plus transmise de façon spontanée aux enfants.» Selon lui, «l'avenir du breton c'est d'être une langue symbolique, une langue totem porteuse d'identité».