Attentats du 13.11.2015La «course contre la montre» d'une enquête «sans précédent»
ATS
13.9.2021 - 23:18
Keystone-SDA
13.09.2021, 23:18
14.09.2021, 09:10
Au procès des attentats jihadistes du 13 novembre 2015 qui avaient fait 130 morts à Paris, un responsable de la police anti-terroriste française a raconté dans le détail la chronologie d'une «enquête totale», qui n'a laissé que peu de zones d'ombres, pour remonter la trace des commandos, des logisticiens et des donneurs d'ordre.
«En quatre ans ont pu être identifiés l'ensemble des auteurs, leurs complices, le commanditaire en Syrie, les périples à travers l'Europe pour ramener les commandos de terroristes, et l'inscription de ces attaques dans une campagne plus large d'attentats», résume à la barre «Sdat 99», l'identification sous laquelle dépose le policier, à visage découvert.
Il ne parle que depuis quelques minutes quand Salah Abdeslam l'interrompt, hurlant pour se faire entendre depuis le box – les micros sont coupés.
«C'est quand qu'on aura la parole ?!», scande le seul membre encore en vie des commandos.
«Monsieur Abdeslam, si vous continuez vous allez sortir du box», le prévient calmement mais fermement le président Jean-Louis Périès. Il doit s'y reprendre à plusieurs fois avant que le Franco-marocain de 31 ans ne finisse par se taire.
L'enquêteur reprend l'exposé, qui durera au total quatre heures. Son débit est rapide, il regarde à peine ses notes posées sur le pupitre devant lui et connaît visiblement le dossier par coeur.
Il décrit les «défis» d'une «enquête sans précédent» avec des «constatations simultanées sur huit scènes de crime», une «collecte minutieuse» d'indices parfois «microscopiques» dans un contexte de «course contre la montre, avec plusieurs individus en fuite et la possibilité d'un sur-attentat».
«Indicible»
Plus de 1.000 enquêteurs ont été mis sur le pont et confrontés à des «scènes indicibles», précise le policier.
Il raconte tout, dans les moindres détails : les boulons projetés «à 40 mètres» du corps du premier kamikaze du Stade de France, les «130 munitions retrouvées devant le Carillon et le Petit Cambodge, «qui témoignent de l'intensité de la fusillade». «Les douze jihadistes, récupérés en cinq convois» par Salah Abdeslam, les faux documents d'identité utilisés par la cellule «tous produits au même endroit», ou encore le détecteur d'explosif «qui va saturer tellement il y a de TATP stocké» dans une des planques.
Il revient aussi sur des détails glaçants. Comme ce téléphone portable, retrouvé dans une poubelle à côté de la voiture abandonnée par le commando du Bataclan. Le dernier SMS a été envoyé à 21h42 le soir du 13 novembre, cinq minutes avant le début de la fusillade : «On est parti, on commence».
Il raconte aussi que paradoxalement, ce sont des «incohérences» dans la revendication des attentats par l'Etat islamique qui mettront la police sur la piste de Salah Abdeslam.
L'Etat islamique parle de «huit frères» et d'un attentat dans le XVIIIe arrondissement de Paris, dit-il. «Nous comprenons qu'un terroriste est en fuite». Salah Abdeslam, dont le rôle exact le soir du 13-Novembre reste flou, a été exfiltré vers la Belgique après les attentats et arrêté après quatre mois de cavale.
«Taisez-vous»
Le policier parle depuis trois heures quand Salah Abdeslam se remet à protester, à renfort de grands gestes. «Taisez-vous M. Abdeslam», le coupe le président. Salah Abdeslam continue, debout dans le box. Jean-Louis Périès l'arrête à nouveau.
«Pendant des semaines et des semaines vous allez entendre des fonctionnaires de police revenir sur le déroulement des attentats, sur l'enquête... Ca va durer neuf mois», le prévient-il. Salah Abdeslam proteste encore avec véhémence – il est cependant inaudible depuis les rangs de la salle d'audience.
«Vous allez aussi entendre des victimes, des parents de victimes, même si ça ne vous plaît pas», reprend placidement le président. «Il va falloir vous armer de patience. Vous pouvez vous rasseoir».
Salah Abdeslam s'assoit.
C'est au tour de ses avocats de se lever. «Cela devait être une présentation générale, et là on est dans le détail du détail», proteste Me Martin Vettes. Un «doublon», «encore plus pointilleux» du volumineux rapport fait par le président neuf heures durant, entre vendredi et lundi en première partie d'audience, abonde Me Olivia Ronen.
«J'entends les protestations qui peuvent venir du box, les réponses ne viendront que dans quatre mois», continue-t-elle.
Les premiers interrogatoires sur le fond de Salah Abdeslam et de ses co-accusés sont prévus en janvier.
L'audience reprend mardi, avec l'audition de la juge antiterroriste belge Isabelle Panou.