Anniversaire Lorsque le Royaume-Uni se rapprochait: l'Eurotunnel a 25 ans

de Julia Naue et Silvia Kusidlo, dpa

3.5.2019

Autrefois, on prenait le ferry ou l’avion – le tunnel sous la Manche a tout changé. Aujourd’hui, on peut facilement se rendre au Royaume-Uni en voiture, en bus ou en train en passant sous la Manche. Mais le Brexit pourrait aussi durement affecter cet ancien projet de rapprochement entre le pays insulaire et l’Europe.

Les Britanniques ne voulaient pas vraiment de ce tunnel. Une invasion militaire, une immigration illégale, des rats enragés – voici ce qu’ils craignaient de voir arriver sur leur île, parmi tant d’autres choses. Il y a 25 ans, le tunnel sous la Manche, une liaison entre la Grande-Bretagne et la France, a pourtant ouvert ses portes. Le tunnel, qui se trouve à environ 37 kilomètres sous la Manche, est non seulement le plus long tunnel sous-marin du monde, mais également la liaison directe de la Grande-Bretagne avec l’Europe. L’île et le continent ont continué de grandir ensemble. En cette période de Brexit, le tunnel sous la Manche est un ouvrage tout à fait spécial qui pourrait très bien donner lieu à de vives tensions.

Les guerres, les troubles politiques et les conflits sans fin avaient longtemps rendu le projet impossible. Plusieurs milliers de travailleurs ont oeuvré dur pendant plus de sept ans; le 1er décembre 1990, la brèche s’est ouverte et les deux côtés étaient liés. Un peu plus de trois ans plus tard, le 6 mai 1994, le président français François Mitterrand et la reine Elizabeth II ont finalement ouvert solennellement le tunnel. Il a encore fallu attendre quelques mois avant l’arrivée des premiers passagers dans le tunnel.

Le tunnel sous la Manche, d’une longueur totale d’une cinquantaine de kilomètres, se compose de trois tubes allant jusqu’à 45 mètres en dessous de la Manche. Les tubes externes comportent chacun une voie. Entre les deux se trouve un tunnel de sécurité destiné aux véhicules de secours. Outre l’Eurostar, le train rapide de transport de passagers qui relie Paris, Bruxelles et Londres, le tunnel est également traversé par des navettes accueillant des bus et des voitures, mais aussi par des navettes de fret pour les camions et des trains de fret classiques.

Des travailleurs français et anglais du consortium TML fêtent la percée de la dernière section du troisième tube de 50 km du tunnel à l’aide d’une énorme foreuse.
Des travailleurs français et anglais du consortium TML fêtent la percée de la dernière section du troisième tube de 50 km du tunnel à l’aide d’une énorme foreuse.
dpa

22 millions de passagers en 2018

Aujourd’hui, un Paris-Londres ne dure que deux heures et quinze minutes environ avec l’Eurostar. Prendre un croissant au déjeuner au bord de la Seine et déguster un fish and chips le midi au bord la Tamise peut donc se faire sans problème. En 2018, environ 22 millions de passagers ont emprunté le tunnel sous la Manche, que ce soit en train, en voiture ou en bus. L’opérateur du tunnel a enregistré environ 430 millions de personnes depuis l’ouverture au public du chantier du siècle.

Le rêve de liaisons ICE vers Londres a également été contemplé autrefois – mais celui-ci ne s’est pas concrétisé à ce jour. Même si un ICE a effectué en 2010 un essai à travers le tunnel, le lancement d’un trafic commercial avec ces trains n’a jamais fait l’objet d’un accord. Verra-t-on un jour des liaisons directes vers Londres depuis Francfort ou Cologne?

Fondamentalement, cela revêt un intérêt, indique la Deutsche Bahn. Cependant, tous les trains et toutes les voies ne sont pas encore équipés d’un système de protection des trains approprié, précise l’entreprise, qui ajoute toutefois que cela dépend de l’autorisation de la circulation des trains ICE en Belgique et dans le nord de la France. Par conséquent, le calendrier n’est pas détaillé pour le moment, ajoute l’entreprise, qui évoque des perspectives plutôt modérées.

Au cours des dernières années, le tunnel sous la Manche a fait les gros titres à de nombreuses reprises en raison de l’arrivée de réfugiés souhaitant rallier l’autre rive de la Manche. Ils prennent la route vers l'Angleterre en tant que passagers clandestins, s’accrochant au toit de camions au péril de leur vie ou se cachant dans des remorques. Depuis l’ancien camp de réfugiés installé près de Calais, surnommé la «jungle», des milliers de migrants ont commencé à espérer une vie meilleure. Les autorités ont fini par s’équiper de chiens renifleurs et de clôtures sur le site du tunnel.

Des milliers de réfugiés ont pris la route vers l’Angleterre via le tunnel sous la Manche en tant que passagers clandestins.
Des milliers de réfugiés ont pris la route vers l’Angleterre via le tunnel sous la Manche en tant que passagers clandestins.
Keystone

La «jungle» n’existe plus aujourd’hui. Mais le problème n’a pas fondamentalement changé. «La situation des réfugiés est toujours dramatique. Elle ne s’est guère améliorée au cours des dernières années», déplore Frank Huster, directeur général de la Fédération allemande des sociétés de transport et de logistique (DSLV), qui soutient que ce phénomène menace les chauffeurs, la logistique et les marchandises. Selon lui, la protection apportée par les autorités est insuffisante et les chauffeurs routiers se retrouvent toujours dans des situations illégales. En effet, tout individu faisant passer illégalement des réfugiés de l’autre côté de la frontière – que ce soit en connaissance de cause ou non – s’expose à de lourdes peines.

Vers un goulot d’étranglement causé par le Brexit?

Le tunnel sous la Manche est également au centre de l’attention dans le différend sur le Brexit. En cas de sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne, la région de Folkestone et de la ville voisine de Douvres deviendrait rapidement un goulot d’étranglement. Près de Folkestone, de nombreux camions affluent avec des marchandises pour traverser la Manche à bord des navettes. A Douvres, à une douzaine de kilomètres, les ferries transportent une multitude de véhicules.

En cas de sortie sans accord de l’UE, la région de Folkestone risquerait de devenir un goulot d’étranglement pour les sociétés de transport routier.
En cas de sortie sans accord de l’UE, la région de Folkestone risquerait de devenir un goulot d’étranglement pour les sociétés de transport routier.
Keystone

Qu’il s’agisse de légumes, de pièces automobiles ou de médicaments, des marchandises diverses et variées sont transportées via le tunnel sous la Manche ou par bateau. En cas de Brexit sans accord, plus de 10 000 camions se retrouveraient rapidement coincés dans des embouteillages monstres du côté britannique, dans le comté du Kent, en raison des contrôles douaniers nécessaires, selon les prévisions. Les produits sensibles pourraient devenir inutilisables. Le chaos attendu pourrait durer six mois. En 2018, près d’1,7 million de camions ont emprunté le tunnel sous la Manche.

«Nous ne savons pas à quoi nous attendre après le Brexit», confie Frank Huster de la DSLV. «Mais nous sommes convaincus que la routine s’installera», espère-t-il. La situation pourrait toutefois être assez dramatique au départ, estime Frank Huster. Par ailleurs, «si les camions sont bloqués jusqu’à l’intérieur des terres, il sera plus facile pour les réfugiés de s’y cacher.»

S’il est vrai qu’un sommet extraordinaire de l’Union européenne a convenu d’un report du Brexit de six bons mois – avec un accord –, le parlement britannique demeure divisé sur les questions relatives à la sortie de l’UE. La forme et la date du Brexit sont toujours des questions sans réponse – et il en va donc de même pour le sort des régions bordant le tunnel sous la Manche sur les deux rives. Une chose devrait toutefois être certaine: quoi qu’il advienne, la liaison entre l’Europe et la Grande-Bretagne restera.

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