«Rude réalité» climatique La source du Gange s'amenuise «à vue d'oeil»

ATS

10.11.2022 - 08:09

Les Hindous rêvent d'accéder, au moins une fois dans leur vie, à la source du Gange, fleuve le plus sacré de l'Inde. Située à Gaumukh, dans l'Himalaya sur le front du glacier de Gangotri, elle «fond à vue d'oeil».

Une photo datée du 11 mai 2007 montre un dévot hindou qui marche sur le chemin du glacier Gaumukh, qui est la source du Gange sacré dans la région d'Uttarkashi, Uttrakhand, Inde.
Une photo datée du 11 mai 2007 montre un dévot hindou qui marche sur le chemin du glacier Gaumukh, qui est la source du Gange sacré dans la région d'Uttarkashi, Uttrakhand, Inde.
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Le glacier recule rapidement, laissant présager un avenir de plus en plus aride pour le géant d'Asie du Sud où 1,4 milliard d'habitants sont confrontés aux défis du changement climatique.

«C'est assez étonnant, si rapide et cela se produit chaque jour et chaque seconde», affirme Sheethal Vepur Ramamurthy, chercheuse à l'Université Friedrich Schiller de Iéna, en Allemagne. «Le glacier fond à vue d'oeil», dit-elle à l'AFP sur le site de Gaumukh, «c'est la rude réalité».

«Le changement climatique joue définitivement un rôle», poursuit-elle, «les gens peuvent bien nier ce qui se produit sous nos yeux, il nous suffit d'en être témoins». Surnommé «Ganga Maa» (mère Gange), le Gange, qui traverse l'Inde sur 2550 kilomètres, est vénéré par les Hindous. Quelque 500 millions d'Indiens en dépendent pour leurs besoins agricoles, domestiques et industriels.

«Le Gange, c'est notre culture, notre patrimoine, notre identité, s'il disparaît, nous disparaîtrons avec lui», déclare à l'AFP Sanjeev Semwal, 53 ans, un prêtre hindou de Gangotri, cité bâtie en contrebas du glacier.

Le glacier a reculé de 1,7 km

Toute atteinte au fleuve «devrait inquiéter tout le monde», ajoute-t-il. Sa famille oeuvre depuis des générations au temple dédié à Ganga, la déesse du fleuve.

Installé sur les rives de la ville, des centaines de milliers d'Hindous le visitent chaque année, quand quelques centaines s'y rendaient à l'époque de son père. «La présence humaine et les conditions climatiques de la région ont évolué au cours de ma vie», confie-t-il.

Le glacier de Gangotri a reculé de 1,7 km en 90 ans, selon le chercheur Rakesh Bhambri de l'Institut de géologie himalayenne Wadia, et le recul s'accélère. «Auparavant, d'importantes chutes de neige protégeaient le glacier, mais la hausse des précipitations entraîne une fonte plus rapide» et modifie l'écosystème, explique-t-il.

Les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes et meurtrières: au moins 26 personnes ont péri dans une avalanche à Gangotri en octobre. Une rupture glaciaire y avait déjà tué au moins 72 personnes l'an dernier. En 2013, quelque 5000 personnes sont mortes dans des inondations dans la région.

L'Inde, comptant 17% de la population mondiale et seulement 4% des ressources en eau, est l'un des pays les plus touchés par le «stress hydrique». Selon le centre de politique publique NITI Aayoga, environ 600 millions de personnes sont déjà confrontées à un «stress hydrique de niveau élevé à extrême» et 21 grandes villes manqueront bientôt d'eaux souterraines.

Le Groupe d'experts intergouvernemental a prévenu en février que le changement climatique menaçait la sécurité alimentaire et les «économies fondées sur l'agriculture», dont l'Inde, sont «les plus vulnérables».

Eaux «toxiques ou polluées»

La production de riz en Inde «pourrait diminuer de 10 à 30%» et celle de maïs «de 25 à 70%», précise-t-il. Le secteur agricole obsolète, plus gros employeur et consommateur d'eau du pays, épuise les ressources en eaux souterraines.

Cette année, l'Inde a connu le mois de mars le plus chaud jamais enregistré. Des centaines de millions de personnes ont souffert de la canicule. Malgré la croissance économique, la pauvreté reste très répandue en Inde où près de 45% des ménages n'ont pas l'eau courante.

L'Inde ne s'attaque pas à «l'impact d'ensemble» de l'urbanisation croissante et de la hausse de la consommation d'eau par habitant, regrette Vimlendu Jha, fondateur de l'organisation écologiste Swechha. La plupart des rivières indiennes et 80% des eaux de surface du pays sont «toxiques ou polluées», affirme-t-il, et les grandes villes indiennes «manquent déjà d'eau».

«Il ne s'agit pas seulement de problèmes environnementaux, mais aussi de problèmes économiques ayant un impact sur les vies humaines, la morbidité et la productivité». Selon un rapport de l'Agence internationale de l'énergie publié en juillet, près d'un milliard de tonnes de charbon ont été consommées en 2021, dont les trois quarts pour la production d'énergie.

«Ressources» épuisées

New Delhi prévoit encore d'en augmenter la production de plus de 50% ces deux prochaines années. L'Inde n'envisage d'atteindre la neutralité carbone qu'en 2070, manquant ainsi l'un des principaux objectifs du sommet COP26 qui pressait de s'y conformer d'ici 2050.

Au sommet COP27, qui se déroule à Charm el-Cheikh, en Égypte, l'Inde réclame une aide financière plus importante pour lutter contre le changement climatique. Le gouvernement indien fait valoir que le charbon contribue au développement et à la lutte contre la pauvreté.

«Ceux qui subissent le poids de la crise sont les plus vulnérables», dit Manshi Asher de l'organisation Himdhara. «Si aucune mesure n'est prise», prévient-elle, «seuls les privilégiés continueront à vivre dans leurs espaces sécurisés».