Le tour de vis radical de la Russie contre les médias et les réseaux sociaux signale la détermination du gouvernement à étouffer toute voix dissonante sur le conflit ukrainien, quitte à couper l'internet russe du reste du monde, selon les experts.
Les bureaux de la radio Echo de Moscou, désormais interdite, à Moscou, le 3 mars 2022
Le logo de la chaîne russe Russia Today
Le logo du réseau social Facebook
La Russie se coupe d'internet et des médias pour mener sa guerre en Ukraine - Gallery
Les bureaux de la radio Echo de Moscou, désormais interdite, à Moscou, le 3 mars 2022
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Le logo du réseau social Facebook
De fait, entre le blocage de Facebook et une nouvelle loi drastique contre les médias indépendants, la population russe n'a désormais quasiment plus accès qu'aux discours officiels.
Le président Vladimir Poutine entend ainsi imposer son récit officiel sur l'invasion de l'Ukraine, présentée comme une opération limitée de maintien de la paix visant à protéger les Ukrainiens russophones d'un «génocide».
«C'est de la censure de dernier recours. Les Russes sont si désespérés à ce stade qu'ils débranchent une plateforme au lieu de bloquer certaines pages comme ils le font d'habitude», réagit Steven Feldstein, un spécialiste du think tank Carnegie Endowment for International Peace.
Le régulateur russe des médias a ordonné vendredi le blocage de Facebook, à qui il reproche de bloquer des médias proches du pouvoir (la chaîne RT et le site Sputnik) en Europe.
La Russie entre ainsi dans le club très restreint des pays interdisant le plus grand réseau social au monde, avec la Chine et la Corée du Nord.
«Coup dévastateur»
La plateforme est très critiquée en Europe et aux Etats-Unis, notamment à cause de la désinformation. Et elle n'est fréquentée que par 7,5 millions de Russes, selon eMarketer.
Mais des Printemps arabes aux manifestations contre le racisme en 2020 aux Etats-Unis, elle a servi aux militants et ONG de nombreux pays à mobiliser autour de diverses causes politiques.
Et elle joue un rôle essentiel dans l'écosystème médiatique indépendant en Russie, souligne Natalia Krapiva, juriste spécialiste des technologies chez l'ONG Access Now.
«L'expression de personnalités critiques a lieu principalement sur les réseaux sociaux en Russie. Les contenus sur Facebook sont partagés via les messageries. Donc c'est un coup dévastateur pour l'accès à l'information indépendante et pour la résistance à la guerre», explique-t-elle.
Comme d'autres experts, elle s'attend à des mesures similaires contre YouTube, par exemple, dont beaucoup de médias indépendants et d'opposants se servent pour diffuser leurs reportages et opinions.
Le régulateur a d'ailleurs assuré qu'il commençait à restreindre l'accès à Twitter, dont le gouvernement ukrainien se sert avec succès auprès de l'occident, dans la guerre de communication avec Moscou.
«Il y a un risque que les gens ne puissent plus du tout connaître la vérité», déplore Natalia Krapiva.
La télévision russe diffuse, selon elle, des mensonges incendiaires, décrivant les Ukrainiens comme des ennemis fascistes menaçant la Russie. «Ils ne montrent pas les villes bombardées et ce qui arrive aux civils. Ils parlent de libérer de soi-disant résistants ukrainiens», raconte-t-elle.
Des milliers de Russes ont été arrêtés lors de manifestations contre l'invasion.
«Poutine a peur»
Et vendredi, Vladimir Poutine a signé une nouvelle loi punissant de jusqu'à quinze ans de prison la propagation d'informations visant à «discréditer» les forces militaires. La loi réprime également tout appel à sanctionner Moscou.
Le texte «semble écrit pour faire de chaque journaliste indépendant un criminel», s'est indigné John Micklethwait, le rédacteur en chef de l'agence Bloomberg. Comme la radiotélévision britannique BBC et d'autres médias, il a annoncé suspendre le travail de ses journalistes en Russie.
Quant aux médias locaux indépendants, la plupart ont décidé soit de se saborder, soit de ne plus couvrir la guerre en Ukraine.
«Poutine réduit tous ces gens au silence parce qu'il a peur. Il ne le ferait pas si tout allait bien», a commenté Michael McFaul, un ancien diplomate devenu professeur de sciences politiques à l'université de Stanford, lors d'une conférence en ligne vendredi.
Mais «nous sommes à un tournant dans l'histoire de la planète», a-t-il ajouté, invitant les plateformes à trouver de nouveaux moyens de soutenir l'accès à l'information.
Les géants des technologies comme Apple et Microsoft ont interrompu leurs ventes de produits en Russie. Vendredi, un fournisseur américain de services internet, Cogent Communications, a dit avoir «mis fin» à ses contrats avec ses clients en Russie.
C'est exactement le genre de mesures réclamées par des personnalités ukrainiennes, qui veulent que la Russie soit coupée de tout, de Netflix à Instagram.
Mais cette stratégie inquiète des experts comme Natalia Krapiva. «Déconnecter la Russie d'internet, c'est contre productif pour la société civile qui essaie de se battre», fait-elle remarquer.
«Poutine le fait déjà lui-même, nous n'avons pas besoin de l'aider !»
AFP