Pays de radins? La Suède en pleine introspection sur une bizarrerie culturelle

ATS

9.6.2022 - 07:45

C'est devenu le «Swedengate» et a fait le tour du monde: une histoire virale sur les familles suédoises qui ne servent pas à dîner aux enfants venus jouer à la maison a lancé un vaste débat dans un pays nordique très soucieux de son image.

En Suède, une coutume voudrait qu'on n'invite pas à manger un enfant venu jouer à la maison. (image d'illustration)
En Suède, une coutume voudrait qu'on n'invite pas à manger un enfant venu jouer à la maison. (image d'illustration)
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Pays de radins ou signe d'une culture différente? C'est une simple anecdote dans une discussion sur le forum en ligne Reddit qui a mis le feu aux poudres.

«Je me souviens d'être allé jouer à la maison d'un copain suédois. Et pendant qu'on jouait dans la chambre, sa mère a crié que le dîner était prêt. Et devinez quoi: il m'a dit d'ATTENDRE dans sa chambre pendant qu'ils mangeaient», raconte un utilisateur fin mai.

Si certains Suédois ont juré n'avoir jamais rien vécu ou entendu de tel, l'étrange pratique fait le tour des réseaux sociaux et suscite un afflux de témoignages concordants, jusqu'à la star de la pop suédoise Zara Larsson. «Quand j'étais petite, c'était vraiment habituel d'aller jouer chez un ami et qu'il nous dise: 'oh, je vais juste dîner, je reviens dans 30 minutes. Et il vous laissait dans la chambre», a-t-elle raconté sur Tiktok.

Roy Ghazi, un designer de 40 ans, explique à l'AFP qu'il restait aussi souvent dans la chambre de ses amis. «Mais qu'au moins on me donnait un sandwich».

Devoir quelque chose

La pratique, encore fréquente dans les années 1980-90 sans être universelle, a pratiquement disparu de nos jours, assure à l'AFP Richard Tellström, professeur à l'Université suédoise d'Agronomie. Mais elle est fascinante car elle «révèle tant de choses sur nous-mêmes et qui nous sommes», estime cet historien de l'alimentation.

Selon lui, même si les témoignages ont fait hurler à l'étranger, ce n'est pas la pingrerie qui est en cause, et encore moins le rejet des étrangers. «Ca concerne la relation entre les familles, et de ne pas se retrouver en dette les uns envers les autres», dit-il à l'AFP.

«Si votre enfant mange beaucoup chez moi, vous allez vous retrouver à me devoir quelque chose et cela doit être évité parce que c'est mauvais pour notre relation entre adultes», pointe l'expert.

Des considérations plus prosaïques peuvent jouer selon lui, comme le fait de «ne pas gâcher l'opportunité d'un repas ensemble en famille», ou de devoir joindre l'autre famille avant l'ère du téléphone portable.

Raisons historiques

Mais l'universitaire pointe vers des raisons plus historiques. Quand la Suède était un des pays les plus pauvres d'Europe, les parents qui peinaient à nourrir toutes les bouches envoyaient leurs enfants manger chez des voisins.

En héritage de cette période, le simple fait d'inviter un enfant à manger pouvait s'apparenter à une insulte. «Si vous le proposez, vous suggérez que l'autre famille est dans une mauvaise passe», argumente Tellström.

Le spécialiste tient aussi à tordre le cou à l'accusation de racisme porté par certains contempteurs du #Swedengate. «J'ai été contacté par des immigrés qui m'ont dit qu'ils pensaient qu'on les laissait dans la chambre de leur copain pour des raisons ethniques, parce qu'ils ne seraient pas assez bien pour être à la table du dîner», raconte l'universitaire.

«Ce qui est terriblement triste, parce que ça n'a rien à voir avec l'origine ethnique, mais avec le fait de devoir quelque chose à quelqu'un», assure-t-il.