«Enfants soldats» La Suède secouée par un terrible fléau

ATS

17.11.2023 - 07:41

Mercredi 13 septembre au coeur de la nuit, Thomas Cervin, 61 ans, est réveillé par des coups de feu dans son immeuble d'Uppsala : sa voisine est la cible de la guerre des gangs qui sème la terreur en Suède.

La guerre des gangs sème la terreur en Suède (image d’illustration).
La guerre des gangs sème la terreur en Suède (image d’illustration).
KEYSTONE

Fusillades commises par des «enfants soldats», immeubles détruits par des engins artisanaux, parents cibles de règlements de compte, et matinales d'information ouvrant sur le nombre de morts qui s'accumule: des événements devenus réguliers dans ce pays habituellement calme.

«La Suède n'a jamais vu rien de tel auparavant, aucun autre pays en Europe ne connaît une telle situation», déclarait fin septembre le Premier ministre Ulf Kristersson, mettant en cause «l'immigration irresponsable et l'échec de l'intégration». «Le droit suédois n'est pas conçu pour les guerres de gangs et les enfants soldats. Mais nous sommes en train de changer cela», avait-t-il dit.

A Uppsala, à 70 km au nord de Stockholm, M. Cervin, enseignant, réalise que sa voisine est la belle-mère de Rawa Majid, chef du gang «Foxtrot», sortie indemne des coups de feu, raconte-t-il à l'AFP.

La guerre entre bandes criminelles pour le contrôle du trafic de drogues et d'armes, qui sévit depuis presque dix ans, a franchi un nouveau cap en 2023 car elle touche désormais les proches des membres de bandes et fait des «victimes collatérales», parmi lesquelles des enfants. «Cette nouvelle génération (de criminels) est impitoyable», note Garip Günes, qui a lancé une équipe de foot dans la banlieue de Rinkeby pour écarter les jeunes de la violence.

«Situation incontrôlable»

«Beaucoup de parents sont inquiets pour leurs enfants, ils ne les laissent pas sortir, sauf pour aller à l'entraînement ou à l'école (...) ils ont peur de se retrouver sur la ligne de tir», dit-il. «La situation est devenue complètement incontrôlable: ils ont commencé à s'en prendre aux proches et à ceux qui n'ont rien à voir avec ces conflits», confirme Felipe Estrada Dörner, professeur à l'institut de criminologie de l'université de Stockholm, à l'AFP.

Depuis le début de l'année, la police suédoise dénombre 314 fusillades qui ont fait 47 morts. En 2016, elle recensait 25 fusillades et 7 morts. Cette violence débridée a coïncidé avec un rajeunissement des auteurs des règlements de compte, constatent les experts.

Selon un rapport publié par l'administration de la prévention des crimes (Brå) le 1er novembre, 336 enfants entre 15 et 17 ans étaient soupçonnés de détention illégale d'armes à feu en 2022 contre 42 en 2012. Les fusillades sont aujourd'hui plus dangereuses en partie parce que leurs auteurs sont très jeunes, avance le professeur Estrada Dörner. Ces enfants «ne savent tout simplement pas manier ces armes».

A Gottsunda, banlieue de Uppsala, Ebtesam Abowarrad, 40 ans, partage le même constat: «la différence maintenant (dans la violence), c'est qu'ils tirent n'importe comment». «Je ne vois plus du tout autant de gens dehors dans les rues. A l'époque, les gens se rassemblaient dans la rue, buvaient leur café instantané acheté au supermarché», relate cette mère de famille à l'AFP.

«Perdu le compte»

Dans les banlieues défavorisées de Suède, recruter des mineurs pour commettre des meurtres contre rémunération s'intègre dans la stratégie des gangs, puisque les moins de 15 ans ne peuvent pas être condamnés à une peine de prison.

Et les mineurs «contactent eux-mêmes les bandes criminelles» sur des boucles whatsapp pour commettre des meurtres, souligne Anders Thornberg, chef de la police nationale. La plupart des auteurs de violences sont depuis des années sur les radars des services sociaux, explique Evin Cetin, ancienne avocate, auteure d'un livre sur le sujet intitulé «Mitt ibland oss» (2023) (Au milieu de nous, non traduit).

«Ces jeunes sont éduqués par des criminels, ils baignent dans une culture de la violence», fait-elle valoir. «La plupart de ceux que j'ai rencontrés ont le regard vide, ils ne valorisent pas leur vie». Derrière les statistiques se cachent, pour les proches, un fils, un frère ou une amie.

Ce dimanche de fin octobre, dans une église de Botkyrka, en banlieue de Stockholm, une quarantaine de personnes sont venues écouter le récit de proches affectés par la violence des gangs, organisé par l'organisation «Kollektiv Sorg» ("Deuil collectif"). Alexander Julian Zadruzny, 23 ans, dit avoir «perdu le compte» des personnes de son entourage parties trop vite.

«J'ai l'habitude de dire que nos enfants grandissent trop vite, mais si l'on observe les événements de ces derniers temps (...) nos enfants ne vivent même pas assez longtemps pour devenir adultes», déclare-t-il devant l'assemblée.