Drogues, police, violences familiales... La Thaïlande face à ses démons

ATS

7.10.2022 - 15:49

Drogues, violences familiales, forces de sécurité... Le massacre de Na Klang, qui a fait 36 victimes, majoritairement des enfants dans une crèche, se trouve à l'intersection de fléaux qui gangrènent la Thaïlande depuis des années.

Le Premier ministre Prayut Chan-ocha fait des gestes avec un "wai" traditionnel après avoir rendu visite aux familles des victimes de l'attaque de la garderie de jeudi à Uthai Sawan, dans le nord-est de la Thaïlande, le vendredi 7 octobre 2022.
Le Premier ministre Prayut Chan-ocha fait des gestes avec un "wai" traditionnel après avoir rendu visite aux familles des victimes de l'attaque de la garderie de jeudi à Uthai Sawan, dans le nord-est de la Thaïlande, le vendredi 7 octobre 2022.
KEYSTONE

Malaise des forces de sécurité

La tuerie de Na Klang a rappelé aux Thaïlandais la fusillade de Nakhon Ratchasima en février 2020, dans laquelle 29 personnes avaient été tuées, notamment dans un centre commercial.

Le profil des assaillants rapproche les deux drames. D'un côté, à Na Klang, un ancien policier limogé des forces de l'ordre en raison de problèmes de stupéfiants. De l'autre, un officier de l'armée royale passé à l'acte en 2020 après une dispute avec un supérieur.

De quoi créer un malaise autour de ces institutions garantes de l'ordre public, toutes puissantes dans le royaume que dirige un ancien général, le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, depuis un coup d'Etat en 2014.

Cela s'ajoute aux problèmes de corruption rampante – près d'un Thaïlandais sur deux a déclaré avoir versé un pot-de-vin à la police ces 12 derniers mois, d'après une étude de l'ONG Transparency International publiée fin 2020.

Dans la culture thaïlandaise, «les griefs personnels et la perception d'avoir perdu la face sont refoulés jusqu'au point d'exploser dans des accès de violence meurtrière, notamment chez des hommes en colère», explique à l'AFP Anthony Davis, un expert dans les questions de sécurité basé à Bangkok.

«Ce syndrome est exacerbé au sein des forces de sécurité, en raison de l'environnement plus hiérarchique (...) où il peut y avoir des abus liés au grade. Ce contexte, avec des armes à feu facilement accessibles, forme un cocktail dangereux», estime-t-il.

Omniprésence des drogues

«Nous savions tous qu'il (le tueur) prenait de la meth» (méthamphétamine, une drogue de synthèse très addictive), a expliqué à l'AFP une habitante de Na Klang. Ce problème d'addiction lui a valu d'être limogé, a indiqué la police, même si le premier rapport d'autopsie montre l'absence de stupéfiants au moment de son coup de folie.

Son profil rappelle l'étendue des dégâts liés à la drogue dans le royaume, où les prix de gros et de vente sont tombés à des niveaux historiquement bas en raison de l'abondance de l'offre, selon les données pour l'année 2021 de l'ONU.

La province rurale de Nong Bua Lamphu se trouve d'ailleurs près du «triangle d'or», aux confins de la Birmanie et du Laos, considéré depuis des décennies comme le point central de la production de stupéfiants dans la région.

Dans ces zones isolées où manquent les professionnels de la santé, il est difficile de soigner des problèmes d'addiction, souligne auprès de l'AFP Shaowpicha Techo, psychologue spécialiste des questions de désintoxication basé à Bangkok.

«En Thaïlande, la plupart des gens ne parlent pas de psychologie ou de santé mentale. Si vous avez un problème, on dit que vous êtes fou. Les drogues sont utilisées pour réduire la détresse mentale», développe-t-il.

Violences familiales en hausse

Avant de se suicider, l'assaillant a tué sa femme et leur garçonnet, un cas extrême de violence familiale qui corrobore la dynamique constatée dans le royaume: 667 cas ont été reportés durant le premier trimestre de 2022, le bilan le plus élevé en quatre ans, selon une agence gouvernementale.

Il s'est disputé avec sa femme le matin du drame, a indiqué le chef de la police nationale.

Toutes les provinces thaïlandaises doivent avoir un guichet unique consacré aux violences domestiques dans les hôpitaux publics. Mais pour Busayapa Srisompong, avocate et militante contre les violences domestiques, ces services souffrent du manque de ressources et de formation du personnel.

«Tout le monde presse les victimes jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus bouger», explique-t-elle. «Il y a une culture au sein de la police. Quand ils voient des cas de violence domestique ou sur un partenaire intime, ils pensent:+Oh, ils vont se remettre ensemble, nous allons faire la médiation+.»

«La culture patriarcale et la masculinité toxique sont tellement enracinées dans certaines institutions, et ça normalise et autorise certains comportements violents», poursuit-elle. «Si la communauté avait accès à des services de santé mentale où on ne blâme pas les victimes, ça pourrait éviter bien des tragédies».