Tollé autour de la prostitution «L’Allemagne est devenue le bordel de l’Europe»

AFP

23.2.2024

Birgit, 57 ans, a l'habitude de s'offrir les services d'un escort boy dans un cadre autorisé qui la rassure. Elle craint de le voir remis en cause car la prostitution fait à nouveau débat en Allemagne, plus de vingt ans après sa légalisation.

La prostitution fait à nouveau débat en Allemagne (image d’illustration).
La prostitution fait à nouveau débat en Allemagne (image d’illustration).
ats

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23.2.2024

L'opposition conservatrice au parlement fait campagne pour réformer la loi qui a rendu légal le commerce du sexe. Le chancelier Olaf Scholz, social-démocrate, plaide aussi pour des changements.

Dans une proposition qui sera discutée vendredi au Bundestag, le parti de l'ancienne chancelière Angela Merkel affirme que la loi de 2002 n'a pas atteint son objectif d'améliorer la situation des travailleurs du sexe et de freiner le trafic d'êtres humains, au contraire. Les conservateurs demandent l'interdiction des maisons closes et la pénalisation des personnes qui achètent des services sexuels.

Interpellé récemment au parlement, Olaf Scholz a jugé «inacceptable que des hommes achètent des femmes» et il a dit souhaiter plus de restrictions sur le commerce du sexe en Allemagne.

Une déclaration «profondément inquiétante» pour la fédération des prestations sexuelles et érotiques (BesD) qui a invité le dirigeant allemand à «discuter dans un bordel». Parmi les 800 membres de la BesD, Kevin dit à l'AFP travailler «depuis des années» de son plein gré comme escort boy.

Consentement

Interdire le travail du sexe ne ferait qu'accroître la violence dissimulée, estime cet homme de 43 ans qui facture ses prestations 500 euros pour deux heures, complétant ainsi ses revenus de technicien chauffagiste. Selon lui, «il faudrait punir plus fermement le proxénétisme et la traite des femmes».

Gérant du portail internet Callboyz.net, où d'autres hommes vendent leurs services, il explique que tous les travailleurs du sexe y sont enregistrés auprès des autorités allemandes et paient des impôts à ce titre.

Birgit, l'une des clientes de Kevin, qui comme lui ne souhaite pas donner son nom, plébiscite ce cadre pour «l'assurance de ne pas être violentée ou d'attraper des maladies sexuelles pendant un +date+». «Si tout le monde est consentant, chaque adulte est libre de faire ce qu'il veut de son corps», dit-elle à l'AFP.

L'Allemagne compte environ 28.280 personnes prostituées déclarées, selon l'Office fédéral des statistiques (Destatis). Mais les travailleurs du sexe non déclarés seraient bien plus nombreux: la coprésidente du groupe parlementaire de l'opposition conservatrice au Bundestag, Dorothee Bär, cite le nombre de 250.000, des femmes pour la plupart.

En France, le nombre de personnes prostituées est estimé entre 30.000 et 40.000, un chiffre ne prenant pas en compte la prostitution occasionnelle.

«L'Allemagne est malheureusement devenue un bastion de l'abus et de l'exploitation sexuels», assure Mme Bär qualifiant son pays de «bordel de l'Europe».

La rue, la drogue

Le quotidien de Jana, une Bulgare de 48 ans, arrivée à Berlin en 1999 n'a rien à voir avec celui de Kevin. Cachée par sa capuche, Jana a la voix fêlée lorsqu'elle raconte à l'AFP comment elle s'est vendue pour rembourser le prix du bus (110 euros) à l'homme qui l'a aidée à se rendre en Allemagne en 1999.

Deux décennies plus tard, elle dort dans la rue et doit accepter des passes à 30 euros dans des toilettes publiques ou des sex-shops. Pour tenir, Jana qui préfère taire son nom, a pris pendant neuf ans de la méthamphétamine (ou "crystal meth") mais dit avoir arrêté il y a trois mois.

«Un cas classique», explique Gerhard Schönborn, à la tête de l'association berlinoise Neustart (nouveau départ, ndlr) qui vient en aide aux prostituées.

Il considère que la légalisation a eu des effets négatifs : «l'idée de départ était de sortir le métier de l'ombre. Mais cela a contribué à augmenter le nombre de bordels en Allemagne».

Réforme de la loi

C'est dans le café de son association, située sur la Kurfürstenstrasse, la rue du tapin de la capitale allemande, que Jana vient se reposer. «Nous les aidons à s'inscrire à l'agence pour l'emploi, à trouver un médecin, un hébergement et éventuellement un nouveau travail», raconte-t-il. Son lieu de rencontre, ouvert plusieurs heures par jour, accueille environ 3.500 femmes par an.

Fin 2022, l'Allemagne comptait 2.310 entreprises déclarées de prostitution -maisons closes, mais aussi services fournissant des prostitués pour certains événements, par exemple-, d'après l'office national des statistiques Destatis.

Ces établissements sont aussi dans le collimateur des partisans d'une réforme de la loi qui critiquent les conditions dans lesquelles les femmes y travaillent et l'insuffisance des contrôles.