Parti de rien, devenu manager«Le culot, c'est monter sur le ring sans craindre les coups»
Valérie Passello
2.11.2022
Ancien président d’IMG Media, l’une des filiales du plus grand groupe de management de sportifs dans le monde, Michel Masquelier a souhaité partager son expérience dans un livre. Optimiste, humain, dynamique, celui qui vit aujourd'hui dans les Alpes vaudoises espère que ses conseils avisés seront utiles aux générations futures. Rencontre avec un «possibiliste».
Michel Masquelier: «Vous les jeunes, vous êtes 30% de la population mais 100% de l'avenir»
À travers son livre «Itinéraire d'un possibiliste», Michel Masquelier, ancien président d'IMG Media, souhaite donner aux jeunes «les conseils qu'il aurait bien voulu avoir» au début de sa carrière, en s'appuyant sur son expérience.
02.11.2022
Valérie Passello
02.11.2022, 14:33
03.11.2022, 11:25
Valérie Passello
«Itinéraire d'un possibiliste», c'est le titre de l'ouvrage de Michel Masquelier, paru aux éditions Jouvence. Parti de rien, exilé dans un pays dont il ne maîtrisait pas la langue, l'homme a gravi les échelons de la société IMG Media jusqu'au sommet. Il souhaite aujourd'hui donner aux jeunes «les conseils qu'il aurait bien voulu avoir» au début de sa carrière, en s'appuyant sur son expérience. Ainsi, son livre mêle souvenirs concrets et pistes de développement personnel.
blue News: Vous êtes devenu président d'IMG Media après avoir passé de nombreuses années au sein de cette entreprise, pouvez-vous nous décrire son activité?
Michel Masquelier: International Management Group (IMG) a été créée par Mark McCormack, qui est le pionnier de l'industrie du «sports management», et j'ai eu la chance d'y rentrer il y a à peu près trente-cinq ans. C'était mon premier job. J'ai gravi tous les échelons pour arriver à être le président de la société, qui a deux activités principales. La première, c'est l'intermédiaire entre les ayants-droit (Wimbledon, Roland-Garros, Moto GP, etc...) et toutes les chaînes médias dans le monde entier. La deuxième activité, c'est la production: on avait la plus grosse société indépendante d'images live d'événements sportifs. Cette société est toujours leader du marché plus de trente ans après sa création.
Avez-vous eu l'opportunité de côtoyer de grands athlètes?
Moi je n'étais pas un manager d'athlètes, j'étais manager d'équipes, de clients, donc je m'occupais de leurs intérêts financiers au niveau médias. Mais j'étais forcément confronté aux joueurs de tennis, de golf et tout ce qui va avec, même si ce n'était pas mon business principal.
Michel Masquelier: «Le culot, c'est monter sur le ring sans craindre les coups»
Interview complète. Parti de rien, exilé dans un pays dont il ne maîtrisait pas la langue, Michel Masquelier a gravi les échelons de la société IMG Media jusqu'au sommet. Il raconte son parcours dans «Itinéraire d'un possibiliste», paru aux Editions Jouvence.
02.11.2022
Parmi les grands sportifs que vous avez rencontrés, lesquels vous ont le plus inspiré ou impressionné?
En général, j'ai beaucoup de respect pour les sportifs, car on ne devient pas sportif juste parce qu'on a du talent. Il en faut, mais aussi énormément de travail, de détermination et de chance. Tous les gens qui sont arrivés à ce niveau sont des personnes exceptionnelles. Et ce qui me fascine le plus, c'est de voir comment, en plus d'avoir été des champions dans leur domaine, ces gens-là se sont reconvertis une fois que leur carrière sportive s'est arrêtée.
«Je me suis rendu compte rétroactivement de qui j'étais et de la passion que j'allais vivre dans ma carrière»
Michel Masquelier
Ancien président d'IMG
Je pense particulièrement à Jean-Claude Killy, pour qui j'ai travaillé dans le cadre des Jeux olympiques d'Albertville en 1992. Il était un tout grand skieur comme on le sait, mais il a eu une carrière en-dehors du ski qui est aussi époustouflante. En fait, les premiers clients de Mark McCormack: Jackie Stewart, Björn Borg, Jean-Claude Killy, ou encore Arnold Palmer, sont des gens qui ont eu plusieurs vies. Ils ont la capacité d'aller plus loin que n'importe qui.
Votre parcours à vous est aussi impressionnant. Pourtant, si l'on en revient à votre enfance en Belgique, vous étiez un petit garçon qui n'était pas forcément bon à l'école...
C'est certain. Disons que ce qui est important, c'est de vivre sa passion. Or, à l'école, je ne la trouvais pas, ma passion. J'étais populaire auprès de mes camarades, mais les profs ne me donnaient pas beaucoup de chances dans l'avenir. Après cela, je suis allé à l'université -où j'ai vraiment ramé- et ce n'est qu'ensuite que je me suis rendu compte rétroactivement de qui j'étais et de la passion que j'allais vivre dans ma carrière. Par exemple, à l'école, j'étais président de classe, j'organisais des voyages de fin d'année, à l'université je gérais le journal, j'organisais des concours de qui boit la bière le plus vite, des concours d'éloquence ou des débats politiques...
«Vous avez beaucoup de talent, même si vos professeurs ne vous le disent pas»
Tout cela pour dire que lorsque j'ai eu la possibilité d'entrer chez IMG, je me suis dit: «Cette société c'est moi. Je suis un promoteur et je ne le savais pas!» Le message que je veux faire passer aux jeunes, c'est que pour réussir dans la vie, il faut bien se connaître, ainsi que ses capacités et bien comprendre sa passion. Le fait de ne pas être bon à l'école m'a fait tourner un négatif en positif. Et c'est ça que je dis aux jeunes: «Vous êtes 30% de la population mais 100% de l'avenir, vous avez une chance extraordinaire. N'ayez pas peur de vous lancer, vous avez beaucoup de talent, même si vos professeurs ne vous le disent pas».
L'un de vos talents à vous, c'est le culot. Selon vous, l'audace est l'une des clés du succès?
Tout à fait. Si on n'ose pas, on n'a rien, par définition. J'aime l'adage qui dit: «ce qui ne vous tue pas vous rend meilleur». Si je n'avais pas lancé les dés, si je ne m'étais pas créé l'opportunité, je n'aurais peut-être pas eu le même degré de succès. Une des premières clés dans une panoplie de conseils que je peux donner, c'est: «n'ayez pas peur d'oser». L'échec fait partie de l'équation de l'expérience, pour moi.
Quelqu'un qui monte sur un ring en pensant ne jamais prendre de coup, ça n'existe pas. Quand on monte sur un ring, on apprend à prendre des coups, mais ensuite on apprend à les éviter. Et une fois qu'on sait les éviter, on apprend à devenir un gagnant et à donner les coups de manière de plus en plus efficace. Avoir du culot, c'est monter sur le ring en n'ayant pas peur de prendre des coups. Et ça, ça m'a toujours aidé. Quand j'ai quitté ma Belgique natale, je me suis dit: «Qu'est-ce que je risque? Je pars sans argent, au pire je reviendrai sans argent et j'aurai perdu une année, ce n'est pas la fin du monde». Il ne faut pas se monter la tête en se disant que l'échec va tuer votre ambition. Au contraire, ça va vous donner des forces.
Un jour, vous décidez de tout quitter pour partir tenter votre chance à Londres, sans même connaître la langue, ni avoir de contacts là-bas. Quel était votre état d'esprit?
Beaucoup de monde m'inspire, comme mon grand-père, qui était parti à l'aventure en Afrique, par exemple. L'un de mes mentors -c'est ma fibre belge qui parle- c'est Jacques Brel. Il avait dit:« Ce qu'il y a de difficile, pour un homme qui habiterait Vilvoorde -c'est un tout petit village belge- et qui voudrait aller à Hong-Kong, ça n'est pas d'aller à Hong-Kong, c'est de quitter Vilvoorde». Et je crois que c'est un état d'esprit que beaucoup de gens ont, ils n'osent pas y aller. Moi, j'avais étudié le droit à contrecœur et je pensais que cela ne me correspondait pas. Ce qui m'intéressait, c'était donc de me découvrir et de découvrir le monde.
«Je me suis dit: je ne sors pas de cette pièce sans avoir un job»
Une fois en Angleterre, j'ai eu une succession de coups de chance, mais je crois aussi que souvent on crée sa chance. Je commençais à apprendre l'anglais dans une école là-bas et je travaillais sur les marchés pour me faire un peu d'argent de poche. Puis j'ai eu l'opportunité de travailler pour un cabinet d'avocat. En classant des dossiers, j'ai vu passer le contrat de mariage de Sebastienko, les contrats de montres avec Ebel d'un certain nombre de golfeurs ou tennismen. Or, j'étais en train de lire «Tout ce qu'on ne vous apprend pas à la Harvard business school», de Mark McCormack. Je me suis renseigné pour savoir s'il s'agissait de la même société, on m'a répondu que oui, que c'était bel et bien un client. Alors j'ai demandé que l'on me fasse une lettre de recommandation, car c'était mon rêve d'y travailler.
J'ai décroché un rendez-vous chez IMG et je me suis dit: «Je ne sors pas de cette pièce sans avoir un job». J'ai alors proposé de travailler gratuitement jusqu'à ce que je génère des revenus. Dans l'élan, j'ai cité des tas de marques belges que je connaissais, même si je n'avais aucun contact chez elles... mais qu'est ce que je risquais, au fond? Voilà ce que j'ai fait: j'ai quitté mon «Vilevoorde» avec un grand cœur, j'ai créé l'opportunité, j'ai commencé une carrière et j'ai vécu ma passion.
Avez-vous dû faire des concessions que vous regrettez aujourd'hui?
De toute façon, on ne peut pas vivre avec des regrets, le passé c'est le passé. Mais c'est certain qu'il y a des sacrifices. D'abord il faut accepter l'échec, c'est constant. Et puis j'étais sur la route 200 jours par an, j'avais une moyenne de sept événements par jour à gérer, imaginez le stress! Certains pourraient se dire qu'autant de stress, ce n'est pas une vie, on travaille plus les samedis et dimanches que la semaine. Mes enfants, je les ai à peine vus vivre, heureusement que ma femme a fait un boulot fantastique pour s'occuper de leur éducation, c'est ce genre de concessions.
«Moins on en a, plus le temps a de la valeur»
Michel Masquelier
Mais à partir du moment où il y a de la passion, on ne peut pas tout avoir non plus. Un proverbe anglais dit: «where there is a will there's a way» («où il y a une volonté, il y a un chemin»), quand on est vraiment déterminé, on peut atteindre des niveaux beaucoup plus élevés que ceux que l'on pouvait imaginer. Maintenant, on rattrape le temps perdu et on organise la manière dont on le gère, car en fin de compte, c'est la denrée la plus précieuse. Et moins on en a, plus le temps a de la valeur. En vieillissant, je me dis que c'était fantastique, je ne peux pas avoir de regrets parce que j'ai eu beaucoup de réussite, j'ai rencontré des gens intéressants et surtout, je me suis énormément dépassé.
Faisons l'analogie avec la montagne: gravir une montagne, c'est difficile et c'est long, mais lorsque l'on arrive au sommet, on est fier et content...
Tout à fait. Quelqu'un qui gravit la montagne, qui a froid aux mains, qui a mal aux genoux, aura exactement la même vue que quelqu'un qui aura été déposé par hélicoptère. Mais je crois que la vie est une succession d'expériences heureuses et malheureuses qui font qu'à l'aboutissement, on aura un sentiment de profonde plénitude. Pour celui qu'on aura amené au sommet, ce ne sera pas du tout la même saveur.
Par contre, il faut bien redescendre. Vous, à un moment, vous avez eu besoin de voir autre chose que ce sommet où vous étiez parvenu...
C'était en 1991, j'avais l'impression de tourner en rond. J'étais trop jeune pour accepter une vie répétitive. J'avais envie de me découvrir et de faire le tour du monde. Encore une fois, mais différemment. Alors j'ai pris un sac à dos, je suis parti par les pays de l'est et je suis revenu par Cuba. Mon patron m'avait laissé partir en me disant qu'il m'enviait de pouvoir faire cette expérience et qu'il me reprendrait dans l'entreprise si je revenais dans les six mois.
Je me suis cherché, j'ai lu beaucoup sur le bouddhisme, j'ai passé du temps avec les musulmans en Indonésie. Dans le Pacifique sud, il y a des îles où le catholicisme est très ancré, les gens vont à la messe bien habillés dans de petites églises blanches pittoresques. Et en analysant les cultures, les modes de vie, les religions et pensées philosophiques, je me suis demandé où je me situais là-dedans. En fait, j'ai pris un petit peu de tout ça et je me suis créé les paramètres de ma propre religion, en me disant: «ce sont les ingrédients qui vont me guider». Et puis je suis revenu chez IMG pour continuer à escalader la montagne!
Qu'est-ce que cette expérience a changé par la suite?
De nouveau, une certaine plénitude. Alors j'ai continué avec beaucoup de passion et d'engouement, de témérité aussi, mais certainement bien plus de maturité pour prendre en main de nouveaux challenges.
Aujourd'hui, de la montagne professionnelle vous êtes passé à la montagne tout court, dans les Alpes vaudoises, où vous vivez. Votre souhait est de transmettre: que voulez-vous laisser derrière vous?
J'avais le sentiment d'avoir accompli non seulement tout ce que je voulais, mais beaucoup plus. À la mort de Mark McCormack, la société IMG a été revendue pour 750 millions de dollars, après ça elle a été reprise par une société de «private equity» («capital-investissement»), elle a été vendue 2,4 milliards, et ensuite on a fait une fusion avec les grandes sociétés hollywoodiennes qui, au lieu de s'occuper de Nadal et Federer, s'occupaient de Matt Damon et Lady Gaga. On avait mis deux grands groupes ensemble et la société flottait pour environ 10 milliards de dollars.
«Vous ne pouvez pas arriver dans le club VIP qu'est la planète sans avoir une ambition de continuer le progrès»
Donc arrivé là, c'était fabuleux pour moi, mais j'ai eu envie de sortir de l'opérationnel. Un peu avant mes soixante ans, j'ai décidé de vivre autrement. J'ai toujours des activités du style conseils et investissements, mais quelque chose me tenait fort à cœur: écrire un livre. Pas pour gagner de l'argent, bien entendu, mais parce que j'avais envie de redonner à la société. Je voulais donner des conseils aux jeunes avec un certain nombre d'anecdotes authentiques, le genre de conseils que j'aurais voulu avoir quand j'ai commencé ma carrière.
Cette jeunesse arrive dans ce club VIP qu'est notre planète, où il y a des démocraties, il y a eu la révolution agricole, industrielle, digitale, où beaucoup de gens ont donné leur vie pour la liberté, où tous ces scientifiques et ces artistes ont contribué à arriver là où on en est aujourd'hui. Je dis aux jeunes: «vous ne pouvez pas arriver dans ce club sans avoir une ambition de continuer le progrès, à petite ou grande échelle, peu importe, mais voilà mon histoire, je veux la partager avec vous et stimuler votre enthousiasme».
J'ai écrit «Itinéraire d'un possibiliste» pendant le Covid, dans un chalet d'alpage sans eau et sans électricité au-dessus de Villars-sur-Ollon. Je me souviens encore d'un professeur de français qui m'avait humilié devant toute la classe en lisant l'une de mes rédactions. Aujourd'hui j'ai écrit ce livre en anglais d'abord, parce que je voulais me lancer un nouveau challenge, qui est devenu un best-seller sur Amazon. Et puis je l'ai adapté en français: c'est encore une revanche!