Comme un paradoxe quantique: l'Italie, auréolée cette année du Nobel de Physique attribué à Giorgio Parisi, est confrontée depuis des années à une hémorragie de ses jeunes chercheurs, contraints de partir à l'étranger pour trouver un poste.
L'universitaire et physicien italien Giorgio Parisi le 5 octobre 2021 à l'Académie Lincean à Rome
L'italienne Rita Levi Montalcini lauréate du prix Nobel de médecine en 1986 et l'ambassadeur de France en Italie Jean-Marc de La Sablière le 5 décembre 2008 à l'Académie de France à Rome
Le professeur de philologie romane Roberto Antonelli à la Bibliothèque de l'Académie des Lincei et Corsiniana, à Rome le 30 mars 2016
Le paradoxe de l'Italie, qui gagne un Nobel mais perd ses chercheurs - Gallery
L'universitaire et physicien italien Giorgio Parisi le 5 octobre 2021 à l'Académie Lincean à Rome
L'italienne Rita Levi Montalcini lauréate du prix Nobel de médecine en 1986 et l'ambassadeur de France en Italie Jean-Marc de La Sablière le 5 décembre 2008 à l'Académie de France à Rome
Le professeur de philologie romane Roberto Antonelli à la Bibliothèque de l'Académie des Lincei et Corsiniana, à Rome le 30 mars 2016
Le professeur Parisi, qui recevra son diplôme et son chèque lundi à Rome, a lui-même déploré le sous-financement de la recherche en Italie, «un pays qui n'est pas accueillant pour les chercheurs, qu'ils soient italiens ou étrangers».
«La recherche est sous-financée et la situation a empiré au cours des 10-15 dernières années», a-t-il regretté le 8 octobre devant des journalistes de la presse étrangère à Rome.
Selon l'Institut italien de Statistique (Istat), 14.000 chercheurs italiens ont quitté la péninsule entre 2009 et 2015.
Cet exode massif s'explique en grande partie par la baisse constante des financements pour la recherche et l'université, tombés de 9,9 milliards d'euros en 2007 à 8,3 milliards en 2015. Après la crise de 2008, l'Italie a enchaîné les plans de rigueur, et le budget de la recherche a été l'un des premiers à en faire les frais.
Obstacles
En conséquence, nombre de jeunes chercheurs italiens, comme beaucoup de leurs compatriotes, sont contraints d'aller chercher bonne fortune à l'étranger, comme Eleonora D'Elia, une chercheuse en biologie originaire de Rome de 35 ans qui enseigne depuis quatre ans au prestigieux Imperial College de Londres.
«En Italie malheureusement il y a de très grands obstacles pour réussir à obtenir un poste dans les universités. Ces obstacles sont dus au manque de fonds, au nombre de postes disponibles, aux relations dont on dispose et à un système très complexe fondé notamment sur le nombre d'articles publiés», souligne-t-elle dans un entretien avec l'AFP.
L'Italie n'a pas toujours été la traîne et a été la patrie de grands scientifiques, comme Carlo Rubbia (Nobel de Physique en 1984) ou Rita Levi-Montalcini (Nobel de Médecine en 1986), même si ces derniers ont fait leurs recherches les plus importantes à l'étranger.
Selon des données d'Eurostat, l'Italie n'a consacré en 2019 que 1,45% de son PIB à la recherche, alors que la moyenne dans l'UE est de 2,19%, le chiffre qu'y consacre la France, loin des 3,17% de l'Allemagne.
Comme un potager
Un diagnotic confirmé à l'AFP par Roberto Antonelli, président de la prestigieuse Académie des Lynx à Rome, la plus ancienne académie scientifique d'Europe, qui dénonce «la baisse énorme des fonds consacrés à l'université et aux organismes de recherches italiens», accompagnée d'un «abaissement de la qualité des postes de travail proposés aux jeunes par rapport aux autres pays».
Cette baisse de moyens a eu un fort impact sur les effectifs des universités, où le nombre de professeurs et chercheurs titulaires d'un contrat à durée indéterminée a chuté de 60.882 en 2009 à 48.878 en 2016, soit presque -20%.
À Londres, Eleonora d'Elia dispose «de plus de soutien en termes de salaire et de budget de recherche», alors qu'en Italie, où elle voudrait pourtant «désespérément» retourner pour retrouver sa famille et ses amis, «elle devrait se battre en permanence pour obtenir cela».
Pour elle, la solution consisterait «certainement à consacrer davantage de fonds à l'université et à la recherche (...) de manière à créer plus de postes et d'opportunités pour tout le monde».
À ce propos, le Pr Roberto Antonelli se réjouit que le méga-plan européen de relance post-pandémie, grâce auquel l'Italie va recevoir 191,5 milliards d'euros de prêts et dons sur la période 2021-2026, apportera une bouffée d'air frais bienvenue. «Le problème est la continuité de ces financements», nuance-t-il, «que se passera-t-il après 2026 quand ils s'interrompront?»
«Dans le domaine de la recherche, la continuité est fondamentale», iniste-t-il. «Le fond du problème réside (...) dans le pourcentage du PIB que chaque pays consacre à la recherche. Cela va des pourcentages les plus hauts comme en Finlande, au Japon et en Corée du Sud, aux plus bas des pays développés comme l'Italie, qui ne consacre pas des fonds comparables à ceux de pays voisins comme l'Allemagne ou la France».
Un avis partagé par Giorgio Parisi, qui l'illustre avec cette image: «La recherche est comme un potager, si vous pensez pouvoir l'arroser toutes les deux semaines, les choses iront mal».