Réchauffement climatique En Espagne, les moules meurent de chaud

afp

11.9.2022 - 11:45

«Ici, il n'y a plus rien», soupire Javier Franch en secouant une corde couverte de moules mortes dans le delta de l'Ebre. Dans cette région de Catalogne (nord-est de l'Espagne), l'eau frôle les 30 degrés et ceux qui n'ont pas extrait leurs mollusques à temps les ont perdus.

La «canicule marine» peut modifier profondément la faune et la flore en entraînant une mortalité en masse d'espèces (archives).
La «canicule marine» peut modifier profondément la faune et la flore en entraînant une mortalité en masse d'espèces (archives).
Keystone/AP/HERIBERT PROEPPER

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«Les températures élevées ont écourté notre saison», déplore ce conchyliculteur de 46 ans, qui travaille depuis près de 30 ans dans l'entreprise créée par son père dans le delta, une zone du sud de la Catalogne formée de lagunes et de marais.

Le quadragénaire estime avoir perdu cette année 25% de sa production. Mais il y a pire: la majorité des jeunes moules, celles devant arriver à maturité l'année prochaine, n'ont pas résisté aux vagues de chaleur caniculaire de l'été, parmi les plus intenses jamais enregistrées en Méditerranée espagnole.

En cette matinée d'été à Deltebre, l'une des municipalités du delta, le soleil chauffe sans relâche le mélange d'eau douce et salée de cette zone à l'écosystème fragile. A cette époque de l'année, l'activité devrait battre son plein autour des pieux où pendent les cordes pouvant accueillir jusqu'à 20 kilos de moules chacune.

Mais il n'y a pratiquement aucun mouvement. «Non seulement (nous avons perdu) la production restante, qui était limitée car nous avions fait en sorte d'avancer la récolte», mais «nous nous retrouvons sans jeunes moules» à élever pour l'année prochaine, prévient Carles Fernández, conseiller de la Fédération des producteurs de mollusques du delta de l'Ebre (Fepromodel).

Des pertes énormes

Selon les océanologues, la chaleur exceptionnelle qui a touché l'Europe à partir du milieu du printemps en a généré une autre en mer, avec des pics de températures de 28 à 30 degrés Celsius dans la Méditerranée occidentale, soit un niveau supérieur de quatre à cinq degrés par rapport à la normale.

Ce type de phénomène, dit de «canicule marine», peut modifier profondément la faune et la flore en entraînant une mortalité en masse d'espèces et des migrations de certains poissons et mollusques vers des eaux moins chaudes, selon les spécialistes.

«Quand on a une semaine avec une eau à plus de 28 degrés, on peut avoir de la mortalité, mais cet été, nous avons eu ces températures durant presqu'un mois et demi», avec des pointes à près de 31 degrés, souligne le gérant de Fepromodel, Gerardo Bonet.

En temps normal, près de 3500 tonnes de moules et 800 tonnes d'huîtres sont produites chaque année dans le delta de l'Ebre, ce qui fait de la Catalogne la deuxième région productrice d'Espagne, très loin derrière la Galice (près de 200'000 tonnes), région du nord-ouest du pays sur la côte atlantique.

D'après Fepromodel, 150 tonnes de moules commerciales et 1000 tonnes de moules d'élevage ont ainsi été perdues à cause de la canicule. Pour les conchyliculteurs, qui vont devoir acheter des jeunes moules en Grèce ou en Italie, le manque à gagner devrait dépasser le million d'euros.

Méditerranée «tropicale»

Au total, l'Espagne a connu cet été 42 jours de canicule, soit trois fois plus que la moyenne des dix dernières années. Dans le delta de l'Ebre, une des zones humides les plus importantes de Méditerranée occidentale, mais fragilisée par l'érosion et le changement climatique, cette situation a laissé des traces.

«Certaines espèces sont incapables de supporter ces températures pendant une longue période de temps» et s'exposent à une «mortalité massive», explique Emma Cebrián, biologiste au Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC). «Imaginez une forêt, c'est comme si 80% ou 60% des arbres mouraient».

Si ces phénomènes ne sont pas nouveaux, le changement climatique les rend de plus en plus fréquents, de plus en plus longs et de plus en plus extrêmes, et leurs conséquences s'aggravent. Mme Cebrián établit une comparaison avec les incendies. S'ils deviennent «récurrents», cela ne permet pas aux espèces affectées «de pouvoir se rétablir», explique-t-elle.

Selon les experts, la Méditerranée tend ainsi à se «tropicaliser». Un phénomène que Javier Franch assure lui aussi constater, alors que son bateau glisse entre les pieux de bois de son exploitation, dans une baie sans un brin de vent.

Face au changement climatique, il envisage d'accroître sa production d'huîtres, plus résistantes aux hautes températures, mais qui ne représentent que 10% de son activité aujourd'hui.

Ce qui ne l'empêche pas d'être inquiet pour l'avenir des 800 personnes vivant de la conchyliculture dans le delta.