«Je crache sur la racaille» Le tourisme de masse met de plus en plus d'Espagnols en colère

dpa/tpfi/trad

4.9.2023

Malgré une inflation élevée, l'Espagne pourrait battre cette année le record de touristes de 2019. Les caisses sonnent comme jamais auparavant. Mais de plus en plus d'autochtones sont gênés par le tourisme de masse.

Un homme passe devant un graffiti «Tourists Go Home» sur un mur près de la mairie d'Oviedo, dans le nord de l'Espagne, le 04 août 2017.(archives)
Un homme passe devant un graffiti «Tourists Go Home» sur un mur près de la mairie d'Oviedo, dans le nord de l'Espagne, le 04 août 2017.(archives)
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Pas le temps ? blue News résume pour toi

  • Dans de nombreuses régions d'Espagne, les autochtones en ont assez du tourisme de masse.
  • A Barcelone et dans toute la Catalogne, mais aussi à Majorque, en Galice ou aux Canaries, le rejet de l'afflux de touristes est de plus en plus ouvert.
  • De plus en plus de voix et d'initiatives s'élèvent contre le tourisme de masse.

«On devrait tous les envoyer au diable, le mieux serait de fermer les frontières ! Les Anglais et les Allemands sont les pires, ils nous rendent la vie infernale ici», s'insurge, le visage déformé par la colère, la femme octogénaire qui traîne péniblement ses sacs de courses pour rentrer chez elle, près du parc Güell de Barcelone.

Peu de temps auparavant, elle avait insulté un groupe de jeunes touristes qui ne lui avaient pas laissé de place sur le trottoir étroit. Dans le café, un homme âgé approuve la retraitée. Sous les huées de ses amis, il s'exclame : «De mon balcon, je crache sur la racaille».

«Tourismophobie»

Tout le monde n'exprime pas sa colère de manière aussi radicale, mais cet été, il est difficile de trouver à Barcelone un autochtone qui ne se lasse pas du tourisme en constante augmentation. Le mot «turismofobia» (phobie du tourisme) fait de plus en plus parler de lui en Espagne, la destination étrangère préférée des Allemands.

Non seulement à Barcelone et dans toute la Catalogne, mais aussi à Majorque, en Galice ou aux Canaries, le rejet du tourisme de masse s'affiche de plus en plus ouvertement, parfois même de manière violente.

En de nombreux endroits, des manifestations de protestation sont organisées par les riverains. Mais pas seulement. On imagine aussi des actions spectaculaires. Comme à Majorque, où un groupe d'activistes du nom de Caterva a tenté en août de faire fuir les touristes étrangers des plages de la côte est en installant des panneaux d'affichage à l'apparence trompeuse, indiquant en anglais l'interdiction de se baigner ou mettant en garde contre les «méduses dangereuses» ou les chutes de pierres. Tout cela est bien sûr faux et inventé.

Le groupe a ensuite expliqué qu'il fallait lutter contre la «dépossession» des plages par les vacanciers, Tiktokers, instagrameurs et touristes en état d'ébriété.

Auparavant, à Barcelone, des habitants du quartier El Carmel, non loin du parc Güell, avaient tout simplement retourné les panneaux indiquant le chemin vers les anciens bunkers sur la colline Turó de la Rovira, afin d'induire en erreur les étrangers. Ce point de vue, qui offre l'une des meilleures vues panoramiques sur la ville, était devenu ces dernières années un lieu de prédilection pour les fans de couchers de soleil et de pique-niques, mais aussi pour les accros des réseaux sociaux et les touristes en quête d'ivresse, qui s'y rassemblaient par milliers le soir, au son de la musique des DJ.

Les médias ont rapporté des altercations violentes entre les habitants et les touristes. En raison des tensions croissantes, la ville a décidé en mai de fermer les installations entre 19h30 et 9h00 du matin. Mais selon les voisins, cette décision est constamment bafouée.

«Le chaos ne cesse d'empirer»

Retour au parc Güell. Bien que la visite de cette création unique de l'architecte moderniste Antoni Gaudí soit payante depuis 2013 et qu'elle ne soit pas bon marché (dix euros), elle reste, avec la basilique de la Sagrada Familia, l'attraction la plus visitée de Barcelone.

Carina, qui habite à quelques rues de là avec son fils adulte, raconte que «le chaos ne cesse d'empirer». «C'est le bruit, la saleté. Mais pas seulement ici. Je n'ai jamais vu la ville entière aussi sale. Et puis il y a le mauvais comportement des touristes. Il y a toujours des gens assis devant notre porte d'entrée qui nous bloquent le passage», raconte à l'agence de presse allemande cette femme qui se rend à l'hôpital pour travailler, son casque de moto vissé sur la tête.

Carina espère une amélioration. Ce n'est pas le cas de Sandra. La jeune créatrice de bijoux a jeté l'éponge. Elle vend sa maison et s'en va avec son partenaire. Où ? «Je ne sais pas encore, peut-être sur une plage tranquille. Mais en attendant, je crois que toute la ville souffre (du tourisme de masse). Nous sommes des étrangers dans notre propre maison».

Mais nulle part ailleurs à Barcelone, le dépit n'est sans doute aussi évident que dans la Vila de Gràcia. Quand on se promène dans les ruelles étroites de ce quartier artistique, on les voit désormais presque partout. Sur les murs, les portes de garage, les panneaux d'information et les monuments, l'injonction «TOURISTS GO HOME» s'affiche en grandes lettres. Les graffitis apparaissent presque à chaque deuxième coin de rue.

«Il n'y en a jamais eu autant», a récemment constaté la chaîne de télévision publique RTVE. Mais les slogans contre le tourisme sont également visibles sur de petits autocollants jaunes et sur de grandes bannières. Une petite minorité radicale, pourrait penser le visiteur non initié. Pas du tout ! «Nous pensons tous la même chose», assure Ester, de l'association de quartier Verdi del Mig.

Alors que la femme aux courts cheveux gris interrompt les préparatifs de la fête de quartier pour parler au journaliste, de plus en plus de personnes se rassemblent pour exprimer leur mécontentement. «Nous ne pouvons plus danser dans la rue lors de la fête comme avant», «On ne parle plus que l'anglais ici» ou «Nous sommes des étrangers dans notre propre maison», entend-on entre autres.

Le Ballermann est un symbole du tourisme festif. Ces Britanniques prennent du bon temps autour d'une bière.
Le Ballermann est un symbole du tourisme festif. Ces Britanniques prennent du bon temps autour d'une bière.
Keystone

Une jeune femme se plaint : «De nombreux visiteurs s'enivrent et deviennent agressifs». Presque toutes les secondes, des touristes passent devant le groupe agité sans se rendre compte qu'ils sont le sujet de la conversation enflammée.

A Barcelone, mais aussi à Saint-Jacques-de-Compostelle, la destination des pèlerins en Galice, les plaintes s'accumulent contre les visiteurs qui non seulement se promènent dans les rues jusqu'au petit matin en buvant et en braillant dans le plus pur style Ballermann, mais qui dorment aussi dehors et font leurs besoins.

Y a-t-il une limite au tourisme ?

La politique et l'économie sont conscientes de l'ampleur du problème et ne le minimisent pas - même si les avis divergent quant aux raisons et aux solutions. «La phobie du tourisme aux Canaries commence à devenir inquiétante», a déclaré ces jours-ci la nouvelle ministre régionale du Tourisme Jessica de León.

Mais la polémique est également alimentée par des parties intéressées, affirme-t-elle. Dans une interview accordée au journal «La Vanguardia», le conseiller municipal de Barcelone en charge de la promotion économique, Jordi Valls, a reconnu sans ambages : «Y a-t-il une limite au tourisme à Barcelone ? Oui, il y en a une. Avons-nous atteint cette limite ? Probablement». Une chose est sûre : la situation ne va pas se détendre d'elle-même.

Selon les estimations des services compétents, l'Espagne s'apprête à vivre cette année une nouvelle année record avec un nombre de visiteurs étrangers jamais atteint auparavant. 85 millions sont attendus, soit 1,3 million de plus que le record enregistré avant l'apparition de la pandémie en 2019. Le secteur représente douze pour cent du produit intérieur brut en Espagne, et même environ un tiers aux Canaries ou aux Baléares.

Même ceux qui profitent de ces chiffres élevés ne peuvent pas fermer les yeux sur la réalité. C'est surtout le président de l'association des hôteliers de la Playa de Palma à Majorque, avec le célèbre Ballermann, Pedro Marín, qui parle clairement : «Il n'est pas acceptable que les habitants aient peur de se promener ici», a déclaré Marín au journal «Última Hora».

«Cet été, il y a eu des viols, des agressions au couteau, des vols, de la drogue. Un désastre». L'hôtelier assure que lui et ses collègues s'efforcent d'attirer «des touristes relativement bons» sur l'île. Mais il faut aussi plus de police et plus de «main de fer». La retraitée du parc Güell, en colère, sera certainement d'accord avec lui.