Rénovation urbaine «Les gens angoissent, surtout les personnes âgées»

Gregoire Galley

18.4.2024

Elle a changé le visage de centaines de quartiers populaires en France, mais vingt ans après la création de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), la politique de démolition-reconstruction des anciens grands ensembles affronte des contestations locales de plus en plus affirmées.

La politique de démolition-reconstruction des anciens grands ensembles affronte des contestations locales de plus en plus affirmées (image d’illustration).
La politique de démolition-reconstruction des anciens grands ensembles affronte des contestations locales de plus en plus affirmées (image d’illustration).
IMAGO/Pond5 Images

Gregoire Galley

«Les gens angoissent, surtout les personnes âgées», lâche Monique Torres. A Pessac, dans la banlieue bordelaise, cette dame de 73 ans se bat depuis des années contre le projet de rénovation urbaine de son quartier de Saige.

Piloté par Bordeaux Métropole, il vise à détruire notamment trois tours de 18 étages et une partie d'un bâtiment de trois étages, soit 373 logements, pour dédensifier, produire une «nouvelle offre de 260 logements diversifiés» selon le bailleur.

«On détruit 373 logements sociaux bons pour le service pour une coulée verte», déplore Monique Torres, membre d'une amicale de locataires opposés au projet, qui dénonce une opération de «gentrification», c'est-à-dire d'éviction des habitants pauvres au profit d'une population plus aisée.

«Pas pour nous»

Des arguments retrouvés un peu partout en France dans les propos des opposants aux projets de rénovation urbaine.

«Dans les quartiers très paupérisés, la gentrification n'est pas vraiment là. Elle joue quand on est dans des quartiers déjà pris dans des dynamiques de valorisation», explique à l'AFP la sociologue Marie-Hélène Bacqué, comme à Aubervilliers ou La Courneuve, en banlieue proche de Paris, ou aux alentours des gares du Grand Paris Express.

«Ca renvoie surtout à une grande inquiétude des habitants : +on transforme notre quartier, on va l'améliorer, mais c'est pour qui ? C'est pas pour nous+», témoigne la chercheuse à l'université Paris-Ouest Nanterre.

L'association Appuii (Alternatives pour des projets urbains ici et à l'international) a recensé 44 projets contestés dans toute la France, portés ou non par l'Anru. «Mais il y en a bien plus», soutient Siamak Shoara, chargé de mission à l'association.

Celle-ci est partie prenante du collectif «Stop aux démolitions Anru», qui a émergé en début d'année et rassemble des initiatives locales d'habitants de quartiers populaires.

«On a assisté à une recrudescence des contestations suite à la période Covid, puisque beaucoup des projets ont été concertés en visio, ou pas concertés. Et donc là, on arrive actuellement à la mise en chantier de ces projets», observe Siamak Shoara.

«Ca avait déjà commencé avant», affirme-t-il cependant. «On voyait de moins en moins de budget consacré à ces concertations, mais le Covid a été un prétexte pour nombre de bailleurs ou de villes pour réduire l'accès à l'information, réduire la participation, et ce sont des choses qui sont restées après.»

Relogement «crucial»

«Le sentiment que j'ai, c'est que sur les 450 quartiers sur lesquels nous finançons des projets de rénovation urbaine, la très grande majorité des projets se passe bien, lorsqu'ils ont fait l'objet d'une co-construction avec les habitants et où les élus travaillent les projets avec les habitants», tempère auprès de l'AFP la directrice générale de l'Anru, Anne-Claire Mialot.

Selon un sondage Harris Interactive commandé par l'Anru, 62% des 700 habitants de quartiers prioritaires interrogés jugent que les programmes de rénovation urbaine ont un effet positif sur leurs conditions de vie. Mais une minorité significative, 18%, leur trouvent un effet négatif.

Anne-Claire Mialot concède entre «une dizaine» et «une trentaine» de projets contestés, déplorant «l'écart entre ce qu'on impose dans notre règlement général et la réalité qui nous remonte de certains territoires, où la co-construction n'a pas forcément eu lieu».

Ce constat «nous conduit à réfléchir à comment on peut faire mieux», dit-elle, soulignant que le relogement des personnes dont l'immeuble est démoli «est crucial».

Il faut «que ces relogements se passent bien, parce que dans les démolitions, quand ils se passent mal, c'est un moteur des contestations du projet», explique-t-elle.

Mais elle réfute les critiques autour de la gentrification des quartiers populaires. «Quand on parle de gentrification, je pense qu'on en est loin dans de très nombreux quartiers. Mais le fait que d'autres populations viennent dans des quartiers en rénovation urbaine, c'est plutôt une réussite», juge-t-elle. «Un des objectifs importants des programmes de rénovation urbaine, c'est la lutte contre la ségrégation sociale.»