Ils habitent «le village rouge»«Il y a des jours où respirer normalement est impossible»
ATS
7.5.2024 - 07:44
«Il y a des jours où respirer normalement est impossible»: comme Zvezdan Veljkovic, les habitants de Radinac près de Belgrade n'en peuvent plus de la pollution dans leur village où se trouve une aciérie exploitée par le groupe chinois HBIS.
Keystone-SDA
07.05.2024, 07:44
ATS
«Mes petits enfants disent: grand-mère, nous n'aimons pas venir chez toi», car ils ne pourront pas aller jouer dehors, renchérit Dragana Milic auprès de l'AFP, alors que l'air fortement pollué et une épaisse poussière rouge ont valu au village le surnom de «village rouge».
En 2016, l'unique aciérie serbe Zelezara Smederevo, principal exportateur du pays, a été rachetée par le géant chinois HBIS, un des plus gros producteurs mondiaux d'acier. Deux mois après cette acquisition, Xi Jinping était venu en visite en Serbie, une première en plus de trente ans.
Huit ans plus tard, le président chinois sera de retour dans le pays mardi, pour son premier voyage en Europe depuis la crise du Covid. Mines, sidérurgie, centrales à charbon, ponts, autoroutes: Pékin a investi massivement dans les Balkans ces dernières années, ce qui n'a pas été sans inquiéter l'Union européenne.
Mais à Radinac et dans les villages à proximité, à 40 km à l'est de Belgrade, les habitants se plaignent de maux de gorge, d'odeurs nauséabondes et de la suie qui recouvre constamment leurs maisons, leurs corps et leurs habits. Et pour eux, les activités chinoises sont responsables. Pour Dragana Milic, la seule protection à la portée des habitants est de rester enfermés chez eux.
«Grand dommage» environnemental
L'agence serbe pour la protection de l'environnement a plusieurs fois classé la ville de Smederevo comme l'une des plus polluées du pays ces dernières années.
Nikola Krstic, un militant de l'ONG Tvrdjava ("Forteresse"), affirme que la pollution a augmenté depuis le rachat chinois, sans savoir «si c'est du fait d'une forte production, d'une technologie défaillante, d'un défaut de maintenance ou d'une non-conformité». Son ONG Tvrdjava a analysé la poussière produite par l'aciérie en 2021 en partenariat avec un groupe scientifique, National Environmental Association.
Ces analyses, que l'AFP a pu consulter, font état d'une forte concentration de métaux lourds dont de l'arsenic, du chrome et du plomb, des métaux parmi «les plus toxiques et cancérigènes quand ils sont présents dans l'air ambiant», rappelle l'étude. HBIS «a certes sauvé l'aciérie en termes économiques, cela doit être souligné, mais en matière environnementale, ils ont causé un grand dommage à la ville», estime M. Krstic.
Selon les données du centre de santé publique de Smederevo, les cas de cancers ont été multipliés par quatre entre 2011 et 2019. Son organisation a déposé plainte contre le groupe chinois devant une juridiction de la ville, mais celle-ci a été rejetée pour insuffisance de preuves. Ils prévoient désormais de se tourner vers la Cour européenne des droits de l'Homme.
2e plus gros exportateur
Le site sidérurgique emploie quelque 5000 personnes, sans compter des milliers d'autres emplois indirects. D'abord propriété publique, l'aciérie avait été privatisée en 2003 et vendue à l'américain US Steel, pour environ 23 millions de dollars, puis rachetée par Belgrade fin janvier 2012 pour un dollar symbolique.
En avril 2016, HBIS a déboursé 46 millions d'euros pour l'acquérir. Les trois plus grands exportateurs de Serbie en 2023 sont trois entreprises détenues par de grands groupes chinois, dont HBIS, selon le ministère des Finances serbe.
En octobre 2023 la Serbie a signé un accord de libre-échange avec la Chine, devenue son deuxième partenaire commercial après l'UE, et un des plus importants investisseurs étrangers.
Pour Stefan Vladisavljev, un responsable de la fondation BFPE, il est «exagéré» de dire que les investissements chinois ont «sauvé» la Serbie, en revanche «ce qui est vrai, c'est que les entreprises chinoises étaient prêtes à prendre le contrôle de certains systèmes industriels pour lesquels la Serbie n'avait pas de solution».
Interrogé sur les problèmes de pollution par l'AFP, le groupe chinois HBIS n'a pas répondu. Mais un peu plus tôt cette année, le directeur pour la Serbie de HBIS, Vladan Mihailovic, a déclaré à la chaîne publique RTS que le groupe prévoyait un mur de protection autour de son lieu de stockage des matériaux bruts et un nouveau système pour réduire la poussière. Dragana Milic a peu d'espoir que cela résolve le problème. Pour elle, «il n'y a pas d'autre solution» que de déménager.