Vins d'autrefois Les «Pirates», ces vignerons qui dynamitent les codes du bordeaux

ATS

24.9.2022 - 08:23

Finie «la bouteille des grands-parents servie lors des repas du dimanche». Dans le Bordelais, un collectif de «vignerons pirates» prône l'innovation pour dépoussiérer l'image des vins locaux, boudés par certains consommateurs.

Le Bordelais plaît moins aux jeunes. Des vignerons rescucitent de vieux cépages peu connus arrachés après le gel de 1956.
Le Bordelais plaît moins aux jeunes. Des vignerons rescucitent de vieux cépages peu connus arrachés après le gel de 1956.
ATS

C'est l'heure des vendanges au Château Cazebonne, dans les Graves. Son propriétaire Jean-Baptiste Duquesne goûte, pour vérifier leur maturité, les baies violines et mordorées de cépages oubliés qu'il tente de réhabiliter.

Sa dernière création, une cuvée qui se veut au goût d'autrefois, mêle mancin, castets, bouchalès, saint-macaire et jurançon noir. Autant de noms méconnus qui avaient toute leur place dans le Bordelais d'avant l'hiver 1956, dont les gelées détruisirent près de la moitié des ceps en Gironde.

S'en était suivi un arrachage massif au profit des cépages utilisés aujourd'hui, plus fertiles. Parmi ceux autorisés, moins d'une dizaine dominent: l'emblématique triptyque merlot-cabernet sauvignon-cabernet franc pour les rouges; l'association sauvignon-sémillon-muscadelle pour les blancs.

Un choix bien trop restreint pour Jean-Baptiste Duquesne: «c'est comme si vous expliquiez à un peintre qu'il doit se contenter des couleurs primaires sur sa palette».

Biodynamie

«A Bordeaux, on a un patrimoine extraordinaire que l'on n'utilise pas», regrette le viticulteur installé en biodynamie, qui voit dans ces grappes oubliées la promesse d'arômes uniques, davantage au goût du jour, tel le mancin, un «cabernet un peu soyeux, plus souple, avec moins de tanins».

Des cépages plus adaptés, ajoute le vigneron, au changement climatique qui conduit certains à récolter des raisins pas assez mûrs – au risque de produire des vins «un peu verts» – pour limiter leur degré d'alcool.

Face au merlot, «condamné» à ses yeux car trop riche, il met en avant le bouchalès dont la «belle acidité» équilibre les assemblages.

«Au lieu de se plaindre que le marché va mal, il y a urgence à se remettre en cause, à chercher ce qui peut plaire au consommateur, qui n'a plus de chapelle», poursuit l'ancien négociant, créateur du site de recettes de cuisine 750g.com.

Sortir du carcan

Au Château Chillac, à Morizès dans l'Entre-deux-Mers, Laurent Cassy ne se reconnaît pas non plus derrière l'image stéréotypée véhiculée par les appellations prestigieuses de la région, qui représentent «seulement 2% du vignoble» et qui sont «souvent chères et irrespectueuses de l'environnement», dénigre-t-il.

Ce producteur de Bordeaux, Bordeaux supérieur, Côtes-de-Bordeaux Saint-Macaire et Entre-deux-Mers en bio se demande «comment exister» quand des appellations mondialement connues tirent les prix vers le bas «en vendant des vins à 5 euros».

«On ne renie pas nos codes mais on peut sortir de ce carcan», considère ce vice-président du Syndicat des Vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine. Selon une vieille méthode d'oxydation originaire de Géorgie, il a développé un «vin orange», couleur abricot et à l'arôme de coing, en faisant macérer un sauvignon gris comme un vin rouge.

Milieu de gamme

Pour faire connaître ses créations, l'Union des vignerons pirates Bordeaux, créée mi-septembre, labellisera chaque année des cuvées en bio «innovantes et décalées». Un jury indépendant fera de premières dégustations le 24 octobre. Les bouteilles étiquetées en «Vin de France» sont vendues entre 15 et 20 euros, plus que le bordeaux conventionnel.

«On a complètement raté le milieu de gamme, alors qu'il y a un marché de niche pour ces vins de plaisir, faciles à boire, à mi-chemin entre les grands crus inaccessibles et les vins vendus en vrac en grande surface», considère Fabien Lapeyre, installé à Saint-Hilaire-du-Bois.

Il cultive en amphores plus d'une dizaine de cépages, dont la syrah, d'ordinaire plus méridionale, et de l'ugni blanc pour faire un vin de paille – spécialité du Jura – girondin.

Le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux regarde d'un oeil «positif» la bannière noire à tête de mort, soulignée de deux bouteilles en croix, qui sert d'emblème aux pirates. Preuve, selon lui, que le plus grand vignoble AOC de France – 110'000 hectares plantés et 600 millions de bouteilles – «bouge encore».

«Il y a 50 ans, il y avait plus de blanc que de rouge, aujourd'hui il y a 90% de rouge. Qui sait si, dans 20 ans, on n'aura pas plus de cuvées pirates? Ce sont les innovations qui ont fait l'histoire de Bordeaux», estime le CIVB.