Danseurs poussés à l'extrême«Maintenant, je sais que j'étais dangereusement en sous-poids»
AFP
12.4.2024
Le monde du ballet doit faire beaucoup plus attention à la santé physique et mentale de ses danseurs, clame une étoile du Royal Ballet de Londres, Steven McRae, dont le difficile parcours de reconstruction après une blessure est relaté dans un documentaire en salles mercredi.
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12.04.2024, 08:06
12.04.2024, 08:09
Gregoire Galley
«Resilient Man», réalisé par le Français Stéphane Carrel, raconte comment, un jour d'octobre 2019, McRae, alors au sommet de sa gloire, se rompt le tendon d'Achille en pleine représentation de «Manon» et croit sa carrière définitivement arrêtée.
«Dans le milieu de la danse, les blessures ont toujours été considérées comme une marque de faiblesse», témoigne-t-il à l'AFP. «Vous êtes blessé, vous ne servez plus à rien. Dehors. Au suivant !»
Il lui a fallu un an pour marcher à nouveau mais il a été chanceux: le Royal Ballet est l'une des seules compagnies au monde à avoir une équipe médicale dédiée.
Grâce à des efforts herculéens et au soutien de kinésithérapeutes, le danseur est remonté sur scène deux ans après sa blessure. Mais cette expérience a radicalement changé son point de vue sur le monde du ballet.
«Go, go, go»
Né en Australie, fils d'un père à la fois pilote de course et mécanicien, Steven McRae n'a pas accès à une école de danse de haut niveau. Toutefois, talent et détermination le poussent vers la Suisse, où il remporte le prestigieux «Prix de Lausanne», lui permettant de faire sa scolarité à la Royal Ballet School. «Rien ne m'a été apporté sur un plateau d'argent», assure-t-il.
Il devient l'une des plus grandes stars de la compagnie au prix d'un corps poussé à l'extrême, avec peu d'attention portée à son bien-être physique et mental. Lorsqu'il quitte la scène, il est tellement épuisé qu'il se sent vide de toute émotion.
«Craignant de tout perdre, vous dites toujours +oui+ à tout. Vous ne vous plaignez jamais. C'est juste +go, go, go+ (+allez, allez, allez+, NDLR)». C'est finalement son tendon d'Achille qui le lâche, de nouveau, à 35 ans.
«Maintenant, je sais que j'étais dangereusement en sous-poids et que je n'étais pas aussi fort que je le croyais», relate-t-il. «La culture du ballet faisait que j'étais entouré de ces corps différents. Peu importe que je paraisse petit ou malade, il y avait toujours pire que moi».
«Image préconçue»
McRae pèse désormais 10 kilos de plus, grâce aux muscles développés en salle de sport. Il souhaite que le ballet abandonne son obsession pour les silhouettes filiformes.
«Notre profession est une forme d'art visuel, une certaine esthétique compte dans ce que nous essayons de créer. Mais, au fil des années, elle s'est tellement déformée ! Il y a cette image préconçue... mais qui est ce dieu du ballet qui dit à tout le monde comment il devrait être ?», interroge-t-il.
Selon lui, les écoles de danse jugent les enfants davantage sur leur apparence que sur leurs compétences. Or «nous devons les regarder comme de jeunes artistes, des individus. Et non en fonction de la taille de leurs jambes ou de leur minceur», plaide le danseur. Même les compagnies offrant kinés et salles de sport ne prévoient pas, dans les emplois du temps, de moments pour les utiliser, dit-il.
«Nous recevons beaucoup d'informations de scientifiques spécialisés dans le sport concernant notre bien-être physique et mental et sur la façon dont ils sont liés. Il est désormais temps d'y répondre. On n'a pas besoin d'un changement massif, mais léger et progressif. Nous pouvons atteindre l'excellence sans sacrifier notre univers entier», assure-t-il.
Le réalisateur Stéphane Carrel espère, lui, que son film participera à ce changement: «Il serait bien d'arrêter de torturer les enfants et de s'assurer que la danse reste avant tout un plaisir».